Le sac plastique Partie 1

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Vous vous souvenez, de cette époque où on voyait des sacs plastique de partout ? Sur le bord des routes, dans les champs, dans les étangs. Parfois, vous vous réveilliez le matin, et vous en découvriez un accroché à votre haie. Et vous pensiez au salopard qui avait bien pu le jeter ici. Et puis, grâce aux nouvelles réglementations, petit à petit, années après années, vous en voyiez de moins en moins.

Bien sûr, l'environnement était toujours aussi pollué. Il y avait toujours autant de bouteilles en plastique dans les fossés, de canettes dans les forêts, de paquets de cigarettes dérivant sur les rivières, de chewing-gums collés au bitume des routes – et, occasionnellement, collés sous vos chaussures.

Mais ces bons vieux sacs plastique, ceux qui vous avaient rendu tant de bons et loyaux services pour vos courses ou pour vos déchets ménagers, ils ont progressivement disparu du paysage. Et désormais, lorsque vous vous en procurez un, hors de question de vous en débarrasser comme ça. On a tous ce placard dans lequel on les accumule, à l'intérieur... d'un grand sac plastique. Au cas où. Même si on sait très bien que ça ne sert à rien.

Car désormais, vous allez faire vos courses avec un cabas. C'était d'ailleurs exactement ce que je faisais en ce moment. J'avais rempli mon cabas de victuailles pour les jours à venir. Des compotes, dans leur barquette en aluminium. Du jambon, avec cette feuille plastifiée qui séparait les tranches. Des yaourts, avec cet emballage carton qui demeurait pour moi un mystère. Un sachet de sauce, alors que je savais que la moitié de la sauce resterait prisonnière dans le sachet. Il y avait aussi d'autres produits, comme ce déodorant dont le plastique représentait plus de la moitié du poids total. Mais voilà, on a beau se faire du souci pour sa planète, il faut quand même vivre, bon gré mal gré.

Je vous vois venir, vous allez me dire que si je voulais vraiment faire des efforts, je pourrais. Mais inutile de lancer un débat ici : la caissière a suffisamment attendu que je prenne mon cabas et que je me tire de là pour pouvoir s'occuper du client suivant.

J'ai ensuite traversé la galerie marchande du magasin en portant mon cabas des deux mains – il était vraiment plein et lourd – et je suis sortie dehors, sur le parking. C'est à ce moment-là que je l'ai vu. Le sac plastique. Traversant la route, poussé par la faible bise. Sur le passage clouté, qui plus est. Mais je n'y prêtai pas plus attention que ça. Des sacs plastique, j'en avais tellement vu dans ma vie. Oui, je sais, si je voulais réellement faire un effort, je pourrai le prendre et le jeter dans une poubelle. Mais j'étais plutôt préoccupée par le poids qui me pesait sur les bras. C'est ça, de faire ses courses alors qu'on vit seule. Pas besoin de prendre un caddie, puisque tout ce dont on a besoin peut rentrer dans un cabas. Mais un cabas qui devient rapidement trop lourd...

Je me suis donc rendue jusqu'à ma voiture, et j'ai posé le cabas au sol pour ouvrir mon coffre. Puis, j'ai rangé mon cabas dans ledit coffre. Il y eut alors une bourrasque, et hop ! Le sac plastique que j'avais aperçu quelques secondes auparavant est lui aussi entré dans mon coffre. Alors, cette fois, l'effort, je l'ai fait. J'ai pris le sac plastique, je l'ai roulé en boule dans une main, et j'ai refermé mon coffre. Puis, je me suis rendue vers la poubelle la plus proche, près de l'entrée du magasin, et j'ai balancé le sac plastique dedans. C'était un sac plastique blanc, avec une bande orange, qui ne m'évoquait rien.

Je me suis alors aperçue que j'étais près de la librairie du centre commercial, et je me suis souvenue que je n'avais plus rien à lire depuis que mon copain m'avait piqué mon dernier livre pour le lire. Alors que je ne l'avais même pas terminé, qui plus est. Quel culot. Il était donc temps pour moi de m'acheter un nouveau stock de livres, et j'avais une idée très précise de ce que je voulais. Il y avait notamment ce jeune nouvelliste français qui venait de sortir son premier bouquin, ou le dernier roman de l'auteur tchèque Honza Mucha.

Je suis donc entrée dans la librairie, et me suis mise à parcourir les rayons. Soudain, un courant d'air a traversé la librairie. J'ai relevé la tête, et j'ai vu un couple entrer dans la boutique. Et, au moment où les portes coulissantes se refermaient... Stupeur. Un sac plastique est entré dans la librairie. Un sac plastique blanc avec une bande orange. Il a parcouru quelques mètres dans ma direction, et s'est arrêté une fois que la porte s'était refermée, étant donné qu'il n'y avait plus de courant d'air. Un employé s'est déplacé pour le prendre. Mais, alors qu'il allait l'attraper, le sac plastique s'est mis à bouger. A voleter dans ma direction. Et il finit par s'arrêter devant mes pieds.

— Excusez-moi, fit l'employé en se penchant pour s'en saisir.

— Il n'y a pas de mal, dis-je. Vous savez d'où il vient, ce sac plastique ?

— De dehors, répondit l'employé en se relevant.

— Je veux dire, vous savez de quelle boutique il provient ?

L'employé scruta le sac plastique.

— Oh, oui, je le reconnais, finit-il par dire. Il y avait auparavant un magasin de produis de beauté, dans la galerie commerciale. Mais ça doit bien faire cinq ans qu'il a fermé.

— Cinq ans ? m'étonnais-je.

— Oui, confirma l'employé. Le patron a pété un câble, et il a zigouillé toute sa famille avant de se suicider. Vous avez sûrement entendu parler de cette affaire.

Effectivement, j'en avais bel et bien entendu parler. Le souvenir restait bien ancré dans ma mémoire. Une terrible tragédie. C'est marrant, comme certaines affaires vous marquent, tandis que d'autres, tout aussi graves, s'évaporent de votre mémoire en quelques semaines.

— Oui, dis-je. Mais j'ignorais que c'était ici. Je n'étais pas dans le coin, à l'époque.

A cette époque-là, j'étais encore étudiante, à l'autre bout de la France. J'étais venue dans la région il y a un peu plus de trois ans, après avoir trouvé du travail, à la mairie. Sinon, jamais de ma vie je n'aurais mis les pieds dans cette ville. Mais finalement, je m'y plaisais plutôt bien.

— Une bien triste affaire, tout ça, fit l'employé. Et vous savez c'est quoi, le plus drôle ? Enfin, si on peut appeler ça drôle... C'est que le type s'est suicidé en s'étouffant avec un de ces sacs plastique.

Voilà qui était en effet étonnant. Je ne me souvenais pas de ce détail.

— Le magasin a fermé ses portes après ça ? demandais-je.

— Oui, répondit l'employé. Le gars avait monté sa propre affaire, et il n'y a eu personne pour la reprendre après... Pas étonnant, vu qu'il a massacré ses propres gosses. Maintenant, c'est une boutique de fringues pour enfants, d'ailleurs.

Je voyais de quelle boutique il s'agissait. Pas le genre de boutique à utiliser ce type de sacs plastique.

— Donc, ça fait cinq ans que ce sac plastique se promène en pleine nature ? demandais-je.

— Peut-être bien, répondit l'employé. Mais ses jours sont comptés. Poubelle !

Il se rendit vers la caisse pour jeter le sac plastique.

Je terminai mes achats, et quittai la librairie. Je pensais encore à ce sac plastique lorsque je regagnai ma voiture. Tout cela était étrange. Mais je l'oubliai rapidement. Je continuais de mener ma petite vie.

Le sac plastiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant