Chapitre I : les débuts

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   Jean-Luc avait cette passion en lui qui se dégageait dans chacun de ses gestes, et qui imprégnait chacun de ses mots. Il regardait le monde autour de lui avec une sévère justesse et ce qu’il observait le plongeait parfois dans des colères noires, épisodes durant lesquels il se coupait de tout, s’enfermait dans une pièce avec son fidèle calepin moleskine et son stylo favori. Il écrivait des discours enflammés, qu’il me faisait lire une fois sorti de ses périodes de rage. Je n’avais pas d'autre choix que d'admirer son talent indéniable pour la rhétorique et sa prédestination naturelle pour l’argumentation. Jean-Luc était pour moi un être bien particulier, fier de ses convictions, un mentor spirituel. Il aimait défendre les opprimé.e.s de tout bord, il appelait à la redistribution des richesses, à la protection de la nature : tant d'idéaux qui avant que je ne le rencontre me semblaient surréalistes et illusoires. Mais désormais je ne pouvais imaginer ma vie sans son impact : j’avais saisi que le rêve était un excellent moteur et qu’en restant terre à terre, jamais l’humanité n’avancerait. Toujours sous son égide, j'avançais dans le militantisme : je me pris de passion pour la lutte antiraciste et anti capitaliste. Je ne supportais plus, tout comme lui, d'être témoin d’injustices au quotidien ; je ne pouvais plus voir de contrôles policiers au faciès sans me sentir complice. Il me recommanda donc à ses ami.e.s au sein de l’association SOS Racisme. Il m’apprenait l’histoire de la lutte ouvrière et m’encourageait à me cultiver sur l’histoire de la gauche, sa précieuse gauche pour laquelle il serait devenu fou. Il m’avait transmis l’essentiel de ses convictions. Avec le temps, nous étions devenus extrêmement proches. Nous passions de nombreuses nuits ensemble, à refaire le monde dans la pénombre de sa minuscule chambre mansardée. Si bien que l’on commença à jaser sur nos vies privées respectives. Pris de court et encore bien jeune, je ne savais pas comment réagir face à ces suppositions, ces rumeurs. Jean-Luc, lui, semblait parfaitement insensible et il me semblait même parfois que cette situation lui plaisait. Il paraissait entretenir volontairement le doute sur notre relation, et n’ayant aucune expérience en matière de romance, je ne savais pas encore qu’il s’agissait d’une sorte de signal. J’avais des sentiments pour Jean-Luc. De très gros sentiments, si bien que je n’arrivais pas à en calculer l’ampleur : j’étais amoureux. Amoureux de Jean-Luc, cet homme fier, révolutionnaire, cultivé, lettré et toujours juste et prêt à servir sa cause. Amoureux de son aura, de sa présence magnétique qui apportait le réconfort à n’importe quelle personne, moi tout particulièrement. Il avait ces façons de faire qui respiraient la virilité et cependant on décelait sous cette apparence une tendresse maladroite qui n’avait aucune issue par laquelle s’échapper. Parfois, je me prenais à imaginer ce à quoi il aurait pu ressembler, sans cette sorte de coquille dans laquelle il s’enfermait. Je rêvais de nous tel un couple influent, seul contre le reste du monde mais toujours prêt à faire valoir nos idées. Pourtant je ne compris pas que cette possibilité était réalisable avant bien longtemps.

   J’aimais Jean-Luc, et je voulais que mes sentiments soient réciproques. J’étais inexpérimenté et je ne savais pas quels signes rechercher dans son comportement. Alors je pris le risque de me confier à lui sans connaître ses sentiments vis-à-vis de moi. Je sentais pour la première fois mon cœur battre violemment dans ma poitrine, l’adrénaline circuler purement dans mes artères. Je m’en rappelle distinctement : nous étions dans sa chambre, comme souvent la nuit après une journée bien remplie de réunions et actions en tous genres. Hésitant, j’attendais patiemment un moment de calme. Jean-Luc était plongé dans ses dossiers, il devait prendre des notes pour un discours devant les nouveaux.elles adhérent.e.s au mouvement. Je pris enfin mon courage à deux mains et je toussai légèrement. Lorsqu'il releva la tête, je sentis mon visage se colorer de pourpre. “J’ai quelque chose à te dire. J’ai juste besoin d'être honnête avec toi, je ne vais pas me fâcher si tu n’es pas d'accord si tu es choqué ou quoi que ce soit. Je fais ça par pure honnêteté envers toi. Peut-être devrais-je en assumer les conséquences, mais je suis prêt.”

    Jean-Luc semblait interloqué. L’aveu eut de la peine à sortir de ma bouche. Une simple phrase pouvait avoir tant de conséquences, sur toute une vie, et même en l’occurrence sur les deux nôtres. Un “je suis amoureux de toi”, il n’y a rien de plus pur et sincère, c'est une phrase si légère qui flotte comme un avion en papier dans l’air et pourtant qui risque tant de tout briser.

Jean-Luc ne dit rien. Il posa son stylo sur le sol. Ne sachant pas quoi faire, je commençais déjà à préparer des excuses, à imaginer des prétextes. Mais il se rapprocha de moi. Il effleura ma joue de sa main et déposa un léger baiser sur ma joue. “Je pensais que tu ne t’en rendrais jamais compte. Mais Benoît, je suis aussi amoureux de toi.” dit-il d’une voix si douce que l’on aurait dit qu’elle était de miel.

Je tombais amoureux de lui de plus en plus à chaque seconde, il n’y avait pas un seul aspect de sa personne qui ne me fascinait pas. Et cette déclaration m’avait métaphoriquement fait tomber dans les abysses de l’amour, du vrai amour. Nous nous enlaçâmes. Je connaissais maintenant cette souffrance si particulière des gens qui ont trouvé leur âme-sœur et ne peuvent pas s'y mêler entièrement pour ne faire qu’un, cette douleur irrémédiable ;  mais elle était noyée dans un océan de tendresse. Nous étions deux dans le cocon de la mansarde, et le monde paraissait si lointain… Un instant, je cessai de lutter. J’oubliai la révolte et je me sentis fort. C’était la première fois que je ressentais une telle puissance. J'avais confiance en lui, j'avais confiance en nous.

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⏰ Dernière mise à jour : May 10, 2017 ⏰

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