6-Sasha

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Elle a pas osé ?

Je regarde lentement autour de moi. Mes yeux s'arrêtent d'eux mêmes sur mon placard.

Je fonce dessus, l'ouvre et attrape ma grosse valise.

Je me dirige vers mon dressing, les larmes aux yeux et fourre tous les vêtements et sous-vêtements qui me passent sous la main.

Cette fois c'est fini, papiers signés ou non, je m'en vais.

Plus de parents absents ni de frère aveugle.

Juste moi, Sasha, la fille qui essaie de s'en sortir indemne.

Je ne prends pas mon téléphone, juste des livres.

Manquerait plus qu'ils me retrouvent... enfin si déjà ils me cherchent.

Je jette ma valise par la fenêtre après l'avoir fermée et descends par le balcon.

Je manque plusieurs fois de tomber mais me rattrape de justesse.

Je traverse la terrasse et le jardin le plus silencieusement possible puis pose violemment la chose à roulettes dans le coffre.

je monte coté conducteur et pars de cette baraque le plus vite possible.

Après avoir passé la portail, j'hésite, je ne sais pas où aller.

J'aurais dû y penser plus tôt, on ne fait pas de fugue sans savoir où aller.

Je soupire.

Pour l'instant je roule et on verra bien où cela me mène.

***

Je me réveille en poussant un gémissement de douleur.

Il est midi.

Mon dos est en compote.

Plus jamais je ne dors dans cette voiture.

Je me pince l'arrête du nez.

J'ai dormi dans une voiture après avoir fugué de la maison "familiale", juste après que ma génitrice m'ait giflée.

Je suis tombée bien bas.

Je m'observe dans le rétroviseur, mes cheveux sont ébouriffés, mes yeux sont bouffis et mon maquillage a coulé.

Je suis normale.

Tout va bien.

J'ouvre ma portière et sors de cette boîte de conserve.

Le café d'hier est à deux pas et je meurs de faim.

Je marche lentement à cause du mal de tête et des vertiges qui me déséquilibrent.

J'arrive devant la devanture en bois sombre caractéristique de "The little hope".

Je passe la porte dont la petite clochette tinte et m'assois directement sur une des chaises de la salle presque vide de monde.

Un silence apaisant règne dans la pièce, uniquement troublé par les rires des employés dans les vestiaires et des quelques habitués qui dévorent leur déjeuner .

J'attends quelques instants et des jeunes adultes entrent dans la pièce, leurs sourires trahissant leurs expressions devenues sérieuses.

J'aperçois enfin Matthew, qui se dirige vers le bar, dans son uniforme, le tee-shirt à manches courtes révélant ses tatouages noirs sur ses bras pâles.

Il vérifie que tout est à sa place, hoche la tête satisfait et attrape une tasse qu'il commence à remplir de café.

L'odeur âcre du liquide sombre envahit lentement la pièce, me faisant fermer les paupières .

Du café, voilà ce qu'il me faut.

Je m'imagine la tasse en main, une légère fumée s'échappant du liquide, la paroi brûlant mes mains gelée.

La table tremble, après qu'un petit bruit ressemblant à un claquement se soit produit.

J'ouvre mes yeux fatigués et tombe sur le tatoué qui me sourit tristement.

-Alors comme ça j'ai une fugueuse en face de moi.

Mon attention se bloque sur le café avant de lui répondre.
Mon regard se pose enfin sur lui au bout de quelques secondes.

-Oui, je suis une évadée, tu veux voir mon tatouage? je fais en tentant l'humour.

-Hum, merci, mais ce sera pour une prochaine fois... j'ai vu ton frère hier, il te cherche partout. Il rougit un peu en parlant d'Ethan mais j'essaie de ne pas y faire attention.

Une partie en moi se brise, alors il s'inquiète pour moi finalement.

J'aurai cru qu'il mettrait plus de temps que ça à se rendre compte que je n'étais plus là.

Pendant mes réflexions, un silence gênant s'est installé entre nous et le café refroidit.

Je le regarde droit dans les yeux et lance brusquement :

-Tu peux m'héberger quelques temps ? Je sais on se connaît pas ni rien mais s'il te plaît, je n'ai nul part où aller...

Il semble réfléchir instant puis passe sa main dans ses cheveux.

-C'est pas que je veux pas mais je vis pas seul, faut que j'en parle à Kyle avant...

-Kyle ? C'est ton copain ? demandai-je sérieusement.

-Huhu, non, je suis gay mais pas fou, c'est mon meilleur ami. Attends je l'appelle et je te dis, je vais pas te laisser seule à la rue, dit-il en se levant et en attrapant son téléphone.

Je l'observe composer le numéro de son ami, attendre patiemment qu'il réponde.

Quand il répond enfin, Matthew lui explique la situation, grimace, sourit et finit par raccrocher.

Il revient avec un sourire en coin et m'annonce le verdict.

-C'est ok. Il est d'accord, t'as de la chance je pensais pas que ce serai aussi facile. Je termine mon service et je t'emmène.

-Merci. dis-je avec un faible sourire.

Il me tend son téléphone et lance :

-Appelle ton frère, je t'amène un truc à manger, t'as une sale mine.

Et le garçon s'éloigne, aussi vite qu'il est arrivé.

Je regarde d'un œil vide le smartphone et finis par le prendre dans mes mains légèrement tremblantes.

Je déverrouille l'engin et parcoure  la liste de contacts.

Ethan est dans les favoris, je souris à la pensée que peut-être il aurait une chance.

J'appuie sur son nom après une ou deux minutes d'hésitation et entends le premier bip sonore caractéristique d'un appel téléphonique.

J'imagine déjà dans quel état il doit se trouver, des cernes violettes sous les yeux, les cheveux en bataille, presque arrachés à force de se les tirer dans tous les sens.

Enfin, ce n'est sûrement pas vrai, il est peut-être dans le canapé du salon à se regarder je-ne-sais-quel film ou encore dans la baraque d'un de ses potes à faire la fête, qui sait ?

-Vous êtes bien sur le répondeur du 733-368-57, votre correspondant est indisponible pour le moment, veuillez laisser un message.

- Hum, Salut Ethan c'est Sasha... C'était pour te dire que je vais bien et que ton ami va m'héberger quelques temps... bye.

Ma voix se brise et je raccroche pour ne pas fondre en larme.
Je pose le téléphone sur la table et bois mon café froid à grandes gorgées. Matthew revient avec une assiette fumante qu'il pose devant moi et repart en me lançant un sourire compatissant.

Il doit bien être le premier à me voir sans mon masque de maquillage quotidien.

Accepte-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant