I. CONTACT (1/4)

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Lundi 13 mars, 8:15 - Lycée Espérance

Le temps était relativement doux pour cette période de l'année et flirtait avec les dix degrés. Je portais mon perfecto préféré au dessus d'un simple tee-shirt blanc. J'avais froid. Je continuais donc d'avancer en pressant légèrement le pas afin de franchir au plus vite les portes de l'école, plus pour me réchauffer auprès d'un des radiateurs du bâtiment que pour retrouver mes camarades. L'imposant bâtiment au style moderne se dessinait doucement devant moi et bientôt je vis apparaître les lettres majuscules E-S-P-É-R-A-N-C-E au dessus de la grande porte d'entrée.

Le lycée Espérance était le plus réputé de la région et la concurrence pour y être admis était féroce. La majorité des élèves acceptés étaient issus de familles riches et influentes et, bien souvent, y devaient leurs accessions aux généreux dons de leurs parents que le directeur, monsieur Pacôme, se faisait un plaisir d'accepter. D'autres, moins chanceux et n'ayant pas grandi dans les plus beaux manoirs de la ville, comme moi, avaient dû bosser dur dans le but d'obtenir une bourse. Sans celle-ci, je n'aurais jamais pu intégrer le prestigieux lycée et me former à ma passion, le journalisme. Peu d'écoles formaient comme le faisait Espérance et les options extra-scolaires y étaient variées, allant de la photographie au théâtre, passant par l'informatique. Cela faisait plus de deux ans que je fréquentais l'établissement et il ne me restait plus que quelques mois avant d'en ressortir diplômé. 

J'étais depuis le début de l'année scolaire le rédacteur en chef du journal de l'école, sobrement appelé le Espérance-hebdo et comme chaque début de semaine, une réunion était organisée afin de discuter des articles de la prochaine édition. Elle devait débuter à huit heure précise, j'étais en retard - comme souvent - mais je ne me pressais pas pour autant faisant traîner mes pas comme un condamné qu'on mènerait à l'échafaud. Ne vous méprenez pas, j'adorais diriger le journal de l'école, j'avais juste parfois un peu de mal avec les rapports humains. Mes proches avaient d'ailleurs tendance à me nommer "l'handicapé des sentiments", une appellation que je ne savais jamais vraiment comment prendre.

Une fois arrivé à destination, j'ouvrai la porte de notre salle dédiée, c'était une petite pièce qui nous avait été confiée par le directeur lui-même pour nos activités d'écriture. Elle était située au bout d'un long couloir et ses fenêtres donnaient sur l'extérieur du lycée, côté parking. Une odeur de cigarette mentholée et de café chaud me parvint directement en y entrant. Rachel fumait, adossée à l'une des grandes fenêtres ouvertes. Cela me décrocha une grimace de dégoût : Comment pouvait-on fumer de si bonne heure ? Personne ne venait ici, à part peut-être les femmes de ménage une fois nos journées d'étudiants terminées, ce qui nous octroyait une large liberté. Rachel l'avait bien compris.

« Et voici Noah qui daigne enfin se montrer, avec plus de dix minutes de retard... Comme c'est étonnant. » 

Félix qui n'en manquait pas une à me reprocher. Il n'avait toujours pas digéré ma nomination à la tête du Espérance-hebdo. Il faut dire qu'il convoitait la place depuis son arrivée à l'établissement et il avait longtemps été le grand favori mais, supportant difficilement la pression, il avait complètement foiré son entretien avec monsieur Pacôme, faisant ainsi pencher la balance à mon avantage. Mon article sur la fermeture d'une usine dans la ville voisine et ses conséquences sur la région avait enfoncé le clou et terminé de convaincre le directeur. Depuis nos relations étaient compliquées, et cela malgré ma décision de le nommer secrétaire de rédaction.

« J'ai loupé mon bus. » Grognai-je en guise de réponse à Félix.

Et de poursuivre à l'intention des deux personnes qui composaient ma petite équipe de journalistes amateurs ce matin :

« L'édition de cette semaine a bien été distribuée ce matin ? »

Rachel, jusqu'alors silencieuse, écrasa sa cigarette et enferma le mégot encore fumant dans un petit étui noir qu'elle gardait dans son sac. Elle ne jetait jamais ses restes de clopes par une des fenêtres de la salle de rédaction, elle était beaucoup trop maligne pour se faire prendre si bêtement.

« On... J'ai demandé aux premières années de s'en charger. Après tout, il faut bien qu'ils servent à quelque chose. »

Le statu quo était assez simple à Espérance. Les premières années n'avaient aucun rôle important au sein de l'école. Ils intégraient des clubs mais représentaient la main d'œuvre de leurs aînés, ils s'occupaient du sale boulot en attendant de faire leurs preuves. Ensuite, les secondaires pouvaient, s'ils avaient réussi à se faire suffisamment apprécier, s'émanciper et prendre une place plus importante dans l'établissement - organiser des soirées réussies représentait le meilleur tremplin. Enfin, nous autres, les dernières années, dirigions les clubs sous la supervision de nos professeurs référents. Nous étions en quelque sorte le sommet de la chaîne alimentaire estudiantine et cela nous plaisait. L'aigreur de la vie, la froideur du monde, la cruauté des Hommes... Tout ceci n'était que des notions abstraites mais, paradoxalement, nous savions que nous profitions de nos derniers instants de naïveté dans ce monde.

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