~ Cent-vingt ans auparavant
À plusieurs centaines de mètres sous la surface de la terre, dans les entrailles d'un ancien volcan que les magies auraient dompté, est une salle mystérieuse. Les parois sont nues à l'exception de quelques niches creusées ci et là. À l'intérieur, des totems sont harmonieusement disposés, destinés à protéger ce lieu sacré entre tous. Le plafond, une voûte soutenue par quatre arcades rugueuses et délicates, est creusé à même la roche volcanique, tout comme les murs concaves qu'il surplombe. Là où les arches se rejoignent, un symbole circulaire et arachnéen est inscrit dans la pierre. La couleur de la pièce, un noir profond et cabalistique, n'empêche pas que l'on y voit parfaitement sans l'aide de torches ou, pour ceux qui ont la capacité d'en créer, de sphères ardentes et rayonnantes.
La pièce est en fait inondée d'une lumière douce et oscillante provenant du sol. À mesure que l'on quitte l'ombre rassurante de l'entrée pour s'aventurer plus en avant, la lueur s'accentue dans le coin gauche de l'œil. Là, coule un ruisseau de lumière, un filament de lave en fusion maintenue dans cet état par d'anciens symboles gravés dans le lit de la rivière. Ces étranges hiéroglyphes sont plus facilement admirables sur la droite. De ce côté-ci, un autre ruisseau, un autre liquide, beaucoup plus commun cette fois : de l'eau. L'onde scintille joliment, reflétant la douce lumière émise par sa compagne de feu liquide, à quelques mètres seulement.
En suivant le cours de ces eaux rouges et bleues, on arrive à une petite île, située à l'exact milieu de la pièce et reliée à l'entrée par un simple trait de terre. Au centre du cercle de roche, un autel octogonal est parsemé de symboles ésotériques, semblables à ceux protégeant les sources de lumière fluides. À l'opposé des bords chargés de ces écritures étranges, la partie centrale est sobrement ornée de quatre cercles s'enchevêtrant. Les recouvrant parfaitement, quatre couronnes y sont disposées. Quatre simples cercles de pierres précieuses et semi-précieuses.
Ces couronnes appartiennent aux quatre Élus, récemment devenus Anciens au jeune âge de dix-huit ans. Chacun d'entre eux est posté à la place qui lui est assigné, en face d'un autre de ses congénères. Ils portent de longues tuniques de coton teinté en gris et sont pieds nus. Leur accoutrement des plus simples contraste avec la richesse suggérée par l'ornement qui couvrait précédemment leur tête.
Les pieds ancrés dans le sol, ils ferment les yeux et font appel à leurs démons intérieurs. La force nouvelle s'éveille en eux et s'écoulent dans leurs veines, de leurs cœurs palpitant jusqu'au bout de leurs doigts crispés par la concentration. Le vent se lève, la terre s'éveille, menaçant de faire déborder les ruisseaux jusqu'alors paisibles. À moins que ce ne soit eux qui, soudain mués par leur propre volonté, décident de quitter leurs lits ?
Malgré l'agitation environnante, les visages des quatre jeunes gens restent impassibles. Ils ont une mission à accomplir et sont déterminés à parvenir à leurs fins. Arrivée à destination, la force avide brille, chauffe, si bien que ses hôtes se sentent obligés de tendre les bras vers l'autel pour la laisser s'échapper. D'abord, rien ne se passe. Puis, une boule de lumière apparaît. Elle grandit, au centre de la pièce, posée en équilibre là où les quatre couronnes de pierre sont réunies. Alors, une voix gronde silencieusement, emplissant chaque pensée des quatre jeunes Anciens :
« Du fond de la nuit viendra la force unie qui dévastera tout. »
La prophétie, annonciatrice d'un grand changement qui semble à redouter, se répète plusieurs fois avant de partir aussi vite qu'elle était venue. Les quatre oracles malgré eux ouvrent subitement les yeux lorsque la voix caverneuse s'évanouit. Ils se jettent des regards anxieux, tous espérant naïvement qu'ils avaient mal compris ou bien que rien n'était réellement arrivé. Ce qu'ils étaient censés découvrir là, dans cette salle souterraine dont peu de gens connaisse l'existence, devait concerner leur règne sur Trakaëm. Seraient-ils de bons dirigeants ? Le peuple leur ferait-il confiance ? Auraient-ils à faire face à une quelconque crise comme une pénurie ? Ou pire, une guerre ? Jamais il ne leur avait été énoncé une autre possibilité pour cette prédiction ! Pourtant, leurs prédécesseurs avaient eu bien des années pour les préparer. Et maintenant, ils n'étaient plus là. Les Maîtres les avaient quittés aussitôt la passation de pouvoir achevée. Les élèves étaient seuls pour s'acquitter de leurs devoirs envers le peuple.
C'était donc la première fois qu'une telle chose se produisait et il avait fallu que cela tombe sur eux.
D'un pas hésitant, l'un des jeunes gens s'approche de l'autel. Sous ses yeux gît en silence une grande perle nacrée, seule preuve physique de l'existence de la prophétie. Celle-ci pulse encore de l'énergie qui l'a créée, quelques instants auparavant. Les autres s'approchent à leur tour dans un mouvement aussi craintif que celui qui fut le plus téméraire. Les yeux rivés sur la sphère parfaite, ils attendent qu'elle s'éteigne enfin malgré la lumière éclatante qui leur vrille la rétine. Après plusieurs minutes qui leur semblent durer une éternité, la lueur s'apaise, devenant observable sans inconfort. Finalement, elle s'éteint.
Leurs regards se croisent et il est décidé que c'est la seule jeune femme de l'assemblée qui portera la prophétie vers la surface. Elle la récupère entre ses mains pâles avec toute la délicatesse dont elle est capable. Puis, dans une file organisée, les Anciens quittent les entrailles du vieux volcan pour faire part de leur prédiction au Conseil.
Cette prophétie, ils lui donneront un nom. La prophétie des Quatre. La prophétie d'Ymran.
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L'élue d'Ymran
FantasiUne ancienne prophétie qui annonce la fin du monde tel que nous le connaissons est sur le point de se réaliser. Du moins, c'est ce que pensent les quatre Maîtres élémentaires. Ont-ils raison ? Est-elle l'élue qu'ils redoutent depuis tant d'années...