Chapitre 2

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D'accord, ce resto japonais n'était pas franchement le lieu idéal pour parler de ça, mais bon, la question lui brûlait les lèvres depuis un moment et il n'avait pas su la retenir à temps.

- ça t'es déjà arrivé d'être attiré par une fille ?

Alors que sa bento box était presque vide, Yann s'arrêta subitement de mâcher et fixa son reporter d'un air interloqué.

- pourquoi tu me demandes ça ?

- c'est jamais arrivé ?

- ben y en a que je trouve hyper jolies, je dis pas, mais sinon ça s'arrête là.

- pourtant t'avais des étoiles plein les yeux devant la pianiste Khatia Bunia... machin chose ou encore Kylie Minogue.

- tu te souviens de ça ?

Le rose monta à nouveau aux joues de Martin, bizarrement, ça devenait une chose fréquente quand Yann était dans les parages.

- j'avais aussi des étoiles plein les yeux comme tu dis pendant mon interview avec le dalaï-lama et j'ai jamais eu envie de lui sauter dessus hein.

Martin rit de bon cœur à sa blague, c'était si facile de parler avec lui, malgré leurs treize années de différence, ils étaient sur la même longueur d'onde tous les deux.

- c'est juste de l'admiration, Khatia, Kylie, Catherine, c'est des icônes pour moi, LA femme dans toute sa splendeur. Un peu comme une œuvre d'art en quelque sorte. Mais ça ne me fait rien du tout, t'as bien vu quand Charlotte m'a fait danser juste derrière elle à la rentrée. Je savais plus où me foutre, j'étais hyper gêné mais pas du tout excité. Et si ça ne me fait rien avec une fille sublime comme elle, c'est que c'est mort avec toutes les autres. Sur ce, je réitère ma question : pourquoi tu me demandes ça ? T'as des vues sur quelqu'un ? Y a un mec qui t'attire ?

Après quelques secondes d'hésitation, Martin se jeta enfin à l'eau, il ne pouvait plus reculer à présent, il en avait trop dit ou pas assez, il savait que son patron était coriace et qu'il ne lâcherait pas sa proie favorite aussi facilement.

- je sais pas trop si c'est de l'attirance, en fait si je sais, mais y a pas que ça, je veux dire, il me plaît beaucoup, aussi bien physiquement qu'au niveau du caractère.

Le regard de Martin se fit soudain plus fuyant et il se demandait si Yann avait deviné qu'il parlait de lui en réalité.

- ça fait longtemps qu'on se connaît lui et moi, on est devenus vite hyper proches, on parle énormément ensemble, y a des gens que tu croises et tu sais pas pourquoi mais y a un déclic et quoiqu'il arrive tu sens au fond de toi que cette personne fera toujours partie de ta vie d'une manière ou d'une autre, et c'est ce qui nous est arrivé, une sorte de coup de foudre amical, si on peut dire. Mais ça fait quelques temps que je sais pas... je pense à lui tous les soirs et je suis hyper heureux d'aller bosser parce que je sais que je vais le voir. Ça me fait ça qu'avec lui, pas un autre. C'est bizarre nan ?

Au lieu de lui répondre, Yann fit un rapide récap' dans sa tête, une longue et solide amitié, un physique de beau gosse, quelqu'un du boulot, tous les indices le menaient tout droit vers Hugo et cette perspective ne l'enchantait guère, même s il n'était pas du tout prêt à creuser la question d'un tel agacement.

- parfois je me dis que ça devrait rester un fantasme, que j'en aurais plus envie le moment venu ou trop peur, que c'est de la curiosité mal placée et que je me défilerais une fois mis devant le fait accompli et en même temps, je peux pas m'empêcher de penser que ça pourrait être génial, je veux dire ça le serait forcément si on ressent tous les deux un truc, bref je sais plus quoi faire, je suis perdu.

Yann le sonda du regard, il avait l'air vraiment paumé et même s'il était sûr que cette histoire concernait à cent pour cent Hugo et son sourire parfait, ses abdos parfaits et son âge parfait, il lui donna quand même un conseil des plus avisés et sincères.

- à ta place, j'irais lui en parler directement, voir comment il réagit. Je ne vois que ça pour t'aider à y voir plus clair.

C'est pas possible, il lui tendait la perche ou quoi ? Pris d'un élan soudain, Martin inspira profondément avant de se lancer, c'était maintenant ou jamais.

- ben c'est plus la peine alors... c'est déjà fait... je lui ai tout dit... y a genre dix secondes de ça.

Martin vit l'expression sur le visage de son patron changer du tout au tout après sa révélation, il se redressa sur sa chaise, il était hyper mal à l'aise, ça se lisait dans ses yeux.

- ....comment ... depuis quand...

Visiblement troublé, Yann s'amusait à étirer et triturer nerveusement le col de son sweat-shirt, ses yeux couleur azur scrutait son regard marron avec toujours plus de suspicion, il était comme suspendu à ses lèvres.

- je sais pas trop... j'ai pas de date précise en tête à te donner.

- bien sûr, excuse-moi, c'est pas ce que je voulais dire, je suis con.

- tu voulais dire quoi ?

- notre amitié compte beaucoup pour moi Martin, tu n'as pas idée à quel point.

Cette phrase résonna au plus profond du reporter comme la lame aiguisée d'un couteau qu'on venait juste de lui enfoncer en plein cœur, jamais il ne s'en relèverait, jamais.

- bon ben au moins le problème ne se pose plus, j'aurais stressé pour rien. Merci d'avoir été franc avec moi.

Afin de se donner une contenance, le plus jeune avala une nouvelle gorgée de son verre d'umeshu, il lui fallait au moins ça pour faire passer une telle pilule.

- je suis désolé Martin, vraiment, j'aurais aimé te répondre autre chose.

- bah écoute, faut pas t'excuser, c'est bon, ça va. J'en ai vu d'autres. T'es pas le premier qui ... enfin si, justement, t'es le premier mais c'est pas la première fois que je me prends un râteau, et certainement pas la dernière, je m'en remettrai, t'en fais pas pour moi. Et puis, les sentiments ça se commande pas hein, c'est tout, c'est comme ça.

Yann acquiesça sans ajouter un mot, un silence gênant s'installa rapidement entre eux et Martin préférait encore être six pied sous terre plutôt que de croupir ici sur sa chaise à faire comme si tout allait bien alors que son cœur saignait à présent.

- bon j'y retourne. On se voit en répet' ?

- ok, d'accord. À tout à l'heure Martin.

- à tout' Yann.

Sentant son malaise à des kilomètres, son patron ne le retint pas plus longtemps, son cadet quitta la table pour aller payer l'addition au comptoir et sans même le regarder, la main du plus vieux se posa sur son verre de yuzushu qu'il finit d'une seule traite, son cœur se serra dans sa poitrine, il avait la désagréable impression que cette conversation venait de changer à tout jamais sa relation avec Martin et il n'était absolument pas préparé à cela.

Pause dej'Where stories live. Discover now