Acte II Scène VI - Don Fernand, Don Arias, Don Sanche

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Don Fernand
Le comte est donc si vain et si peu raisonnable !
Ose-t-il croire encor son crime pardonnable ?

Don Arias
Je l’ai de votre part longtemps entretenu.
J’ai fait mon pouvoir, sire, et n’ai rien obtenu.

Don Fernand
Justes cieux ! ainsi donc un sujet téméraire
A si peu de respect et de soin de me plaire !
Il offense don Diègue, et méprise son roi !
Au milieu de ma cour il me donne la loi !
Qu’il soit brave guerrier, qu’il soit grand capitaine,
Je saurai bien rabattre une humeur si hautaine
Fût-il la valeur même, et le dieu des combats,
Il verra ce que c’est que de n’obéir pas.
Quoi qu’ait pu mériter une telle insolence,
Je l’ai voulu d’abord traiter sans violence
Mais puisqu’il en abuse, allez dès aujourd’hui,
Soit qu’il résiste ou non, vous assurer de lui.

Don Sanche
Peut-être un peut de temps le rendrait moins rebelle
On l’a pris tout bouillant encor de sa querelle
Sire, dans la chaleur d’un premier mouvement,
Un cœur si généreux se rend malaisément.
Il voit bien qu’il a tort, mais une âme si haute
N’est pas sitôt réduite à confesser sa faute.

Don Fernand
Don Sanche, taisez-vous, et soyez averti
Qu’on se rend criminel à prendre son parti.

Don Sanche
J’obéis, et me tais ; mais, de grâce encor, sire,
Deux mots en sa défense.

Don Fernand
Deux mots en sa défense. Et que pouvez-vous dire ?

Don Sanche
Qu’une âme accoutumée aux grandes actions
Ne se peut abaisser à des soumissions :
Elle n’en conçoit point qui s’expliquent sans honte :
Et c’est à ce mot seul qu’a résisté le comte.
Il trouve en son devoir un peu trop de rigueur,
Et vous obéirait, s’il avait moins de cœur.
Commandez que son bras, nourri dans les alarmes,
Répare cette injure à la pointe des armes
Il satisfera, sire ; et vienne qui voudra,
Attendant qu’il l’ait su, voici qui répondra.

Don Fernand
Vous perdez le respect ; mais je pardonne à l’âge,
Et j’excuse l’ardeur en un jeune courage.
Un roi, dont la prudence a de meilleurs objets,
Est meilleur ménager du sang de ses sujets :
Je veille pour les miens, mes soucis les conservent,
Comme le chef a soin des membres qui le servent.
Ainsi votre raison n’est pas raison pour moi :
Vous parlez en soldat, je dois agir en roi
Et quoi qu’on veuille dire, et quoi qu’il ose croire,
Le comte à m’obéir ne peut perdre sa gloire.
D’ailleurs l’affront me touche, il a perdu d’honneur
Celui que de mon fils j’ai fait le gouverneur
S’attaquer à mon choix, c’est se prendre à moi-même,
Et faire un attentat sur le pouvoir suprême.
N’en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux
De nos vieux ennemis arborer des drapeaux
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paraître.

Don Arias
Les Maures ont appris par force à vous connaître,
Et tant de fois vaincus, ils ont perdu le cœur
De se plus hasarder contre un si grand vainqueur.

Don Fernand
Ils ne verront jamais, sans quelque jalousie,
Mon sceptre, en dépit d’eux, régir l’Andalousie
Et ce pays si beau, qu’ils ont trop possédé,
Avec un œil d’envie est toujours regardé.
C’est l’unique raison qui m’a fait dans Séville
Placer depuis dix ans le trône de Castille,
Pour les voir de plus près, et d’un ordre plus prompt
Renverser aussitôt ce qu’ils entreprendront.

Don Arias
Ils savent aux dépens de leurs plus dignes têtes
Combien votre présence assure vos conquêtes :
Vous n’avez rien à craindre.

Don Fernand
Vous n’avez rien à craindre. Et rien à négliger.
Le trop de confiance attire le danger
Et vous n’ignorez pas qu’avec fort peu de peine
Un flux de pleine mer jusqu’ici les amène.
Toutefois j’aurais tort de jeter dans les cœurs,
L’avis étant mal sûr, de paniques terreurs.
L’effroi que produirait cette alarme inutile,
Dans la nuit qui survient troublerait trop la ville :
Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
C’est assez pour ce soir.

Le CidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant