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Je décidai d'embarquer avec Ada pour l'emmener à l'école à laquelle elle venait tout juste d'être inscrite. C'était un peu brusque pour elle, j'en étais conscient, alors j'avais décidé de lui faire découvrir que je parlais haoussa dans la voiture pendant que j'étais au téléphone avec Alice.

Ina son ka...

Ada me contempla dans le petit rétroviseur central, stupéfiée par ma prouesse. Elle lâcha un peu son cartable, qu'elle tenait fébrilement jusqu'à présent, et plaça sa main droite sur mon épaule.

— Fred, tu parles ma langue ?

— « Si vous parlez à un homme dans une langue qu'il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur », Nelson Mandela, citai-je, index vers le ciel.

Elle retira sa main et s'enfonça dans son siège. Nous étions arrivés. Je me tournai vers elle. Ada releva la tête.

— Je sais que c'est pas facile pour toi, m'adressa-t-elle en jouant avec sa ravissante robe, qui était la première qu'elle avait choisie avec la juge au magasin durant leurs premières emplettes entre filles. Alice, elle m'a en quelque sorte imposée à toi. Mais on va bien s'entendre. J'suis désolée pour l'autre fois, quand on s'est rencontrés.

— C'est oublié, lâchai-je en soufflant dans un sourire.

— Je sais que tu fais plein d'efforts... Merci Fred, dit-elle en prenant ma main dans la sienne.

Je contemplai nos mains alliées et admirai le mariage de couleurs opposées. J'étais hâlé, mais je ne me serais jamais imaginé tenir la main d'une rescapée de la guerre du Nigeria. J'étais attaché à cette gamine. Elle était sous ma protection. Elle faisait désormais partie de mes priorités.

— Eh, faudrait pas qu'on soit en retard ! que je fis en tapotant ma montre.

Elle rit doucement et sortit de la bagnole. Ma main sur son épaule en guise de soutien paternel, je l'emmenai dans la salle polyvalente de ce nouvel établissement et assistai à la présentation réservée aux élèves de sixième. Je fus ému tout au long du discours. Non pas à cause des mots pompeux prononcés par le directeur et les enseignants... mais plutôt grâce à ce lien indéfinissable qui se nouait entre Ada et moi. Un lien inespéré et d'autant plus beau.

* * *

— Le commandant n'est pas avec vous ?

— Non ! Il a tenu à aller à la cérémonie d'accueil des futurs élèves de sixième.

— Mais c'est qu'il progresse ! s'exclama le greffier.

— Oui, et d'ailleurs je n'en ai jamais douté. Si vous saviez combien les liens entre Ada et lui se sont renforcés en à peine une semaine...

— J'ai confiance, ça m'a tout l'air d'être beau le tableau de la famille parfaite que vous êtes en train de peindre !

— Que nous sommes en train de peindre ! Vous compris !

— Oh...

— Allez, ne faites pas celui qui ne sait pas à quel point il compte ! Sans vous, rien de...

— Oui, enfin le mariage n'a pas eu lieu, fit-il remarquer en remettant ses lunettes sur son arête nasale..

— Non. Remarquez, l'assistante n'a pas eu l'air de douter quand je lui ai annoncé que nous renoncions au mariage !

— Et heureusement. Ah, je vous jure. C'est vraiment de la folie, ces entreprises que vous menez entre mari et femme. Pardon, entre fiancés !

— Vous n'y êtes pas Victor, dit-elle en secouant sa tête de gauche à droite paupières closes. Entre amants !

— Aaah... Ah oui, ça change tout c'est vrai, pardon, remarqua-t-il avec admiration et un sourire immense aux lèvres, satisfait pour les acolytes qui se cherchaient depuis la nuit des temps.

Trouble-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant