Trouble-moi

( d )

J'avais besoin de comprendre. C'était la raison pour laquelle je tapotais nerveusement le sol du pied, assis au bord d'une fontaine sans eau, à attendre que Léa arrive au rendez-vous fixé à seize heures. Quatre minutes de retard, je cautionnais.

Au bout d'une demie-heure, je reçus un message envoyé par elle pour justifier son absence, ce qui me déplut grandement. De mauvais poil, je rejoignis ma voiture et décidai de ne pas rentrer immédiatement au foyer familial. J'avais besoin de souffler un peu. Cette vie à plusieurs, sans liberté aucune, je l'acceptais tout à fait. Mais il allait me falloir m'adapter.

Je me baladais sur les quais quand j'entendis crier mon nom.

Qu'est-ce qu'il faisait là, lui ?

- Commandant, on a une urgence !

- Quoi, le boulot ? Vas-y, j'te rejoins. Je me sens pas trop là. T'as prévenu Alice ?

- C'est elle qui m'a envoyé le message ! Elle m'a demandé d'aller chercher Paul exceptionnellement, et elle n'a rien dit à Victor... Je crois que vos ex ont décidé de se... parler.

- Et merde...

- Du coup, j'ai laissé à Victor le loisir de s'occuper du petit, vu que je suis pas trop à l'aise, et j'ai décidé de vous prévenir...

- O.K. Merci.

En vingt minutes j'arrivais à l'école d'Ada. Elle sortit, exténuée. Elle avait une petite mine. Je lui adressai un petit clin d'œil et l'invitai à prendre place sur le siège arrière.

- Tu y as été, toi, à l'école ?

- Oui, comme tout le monde. Pourquoi ?

Je regrettai ma réponse. La scolarité, ça n'allait pas de soi partout. Elle comprit que j'avais repéré mon erreur et s'installa plus confortablement en ouvrant sa fenêtre.

- Je sais pas. Tu sais, quand on a rempli les dossiers d'inscription, on avait mis que je voulais intégrer l'AS foot ?

- Ouais, j'me souviens ouais. On avait même dit qu'on ferait un match ensemble avec Paulo.

- Voilà... Et quand je l'ai dit devant la classe pour me présenter, ils m'ont mal regardée.

- Et le prof, il a dit quoi ?

- Il a fait semblant de pas avoir entendu, et il m'a dit de retourner à ma place.

- T'en fais pas, ça va s'arranger dans l'année. Ils vont s'habituer au fait qu'une fille fasse un sport réputé pour être réservé aux mecs. Tu t'feras ta place, j'en suis sûr.

Un silence s'installa entre nous, permettant à nos méninges de se mettre en repos après tous les événements récents.

- Pourquoi tu regardes ton téléphone ? Y a un problème ?

Si elle était aussi perspicace à son âge, c'allait pas être du gâteau pour Alice et moi, qui faisions un métier dont on ne pouvait pas vraiment parler aux enfants. Avec Paul, jusque là, on avait facilement éludé chaque affaire, et puis même concernant notre relation, on arrivait à lui cacher quand ça nous arrangeait. Je découvrais que ça n'allait plus être aussi simple qu'avant maintenant qu'on avait une fille mature et particulièrement intelligente à la maison !

Je me demandai ce qu'aurait fait Dolto à ma place. Dire ou mentir ? Taire ? Oh et puis mince...

- On a un léger souci... Tu connais Léa ?

Elle secoua la tête : négatif.

- Elle a été la compagne d'Adam, et la mienne. Bon je te l'accorde, je te la présente très mal, mais on n'a pas vraiment le temps parce que si je regarde mon portable c'est pour regarder l'heure. Pour épouser Alice, il fallait que je quitte Léa. C'est Alice que j'aime, que j'ai toujours aimée...

- Léa, elle est flic elle aussi ?

- Ouais.

- Et du coup, elle t'en veut ? Elle est jalouse ?

- Je crois, ouais. C'est Alice qui s'en est rendu compte... moi j'ai rien vu venir. Comme elle risque de nous causer du tort, faut que tu saches te protéger... Et protéger Paul quand tu le peux.

- T'inquiète... j'ai vu pire. Je saurai faire.

Je lui souris avec mon air abattu. Elle quitta l'habitacle, sortit son trousseau de clé, l'étrenna et me fit signe avant de s'engouffrer dans l'appartement.

Ça, c'était chose faite. Je me demandais ce qu'il se passait, et où ça se passait. J'appelais Kadiri.

- Oui commandant.

- Ouais, tu peux m'dire où elle se trouve ?

- Chez vous commandant.

- Chez moi ? Mais...

- C'est le dernier message qu'elle m'a envoyé qui le mentionne.

- Mais tu crois quoi ? Que Léa a enlevé Alice ? C'est du délire...

- Non, je ne pense pas. Je crois qu'elle négocie.

- Qui ?

- Léa !

- Pour ?

- Vous avoir, j'en sais rien moi ! Vous arrivez quand ? J'ose pas y aller seul, et puis je vois pas ce que je peux leur dire...

- T'en as assez fait pour aujourd'hui, Kadiri. Je gère le reste. Merci. Et puis pour mon bureau... t'es un p'tit ange ! Tu m'l'avais caché !

- Euh... Oui, enfin c'est tout naturel hein...

- Allez prends pas la grosse tête. Mange bien ce soir, demain on reprend.

- Hm. À demain commandant.