Extrait troisième

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Le 22 octobre **47

« Fay, je t'aime. »

Aileas est venue me voir après les cours et m'a confié cela. Ce qui m'a rendue plus heureuse que je ne l'ai jamais été.

C'est tout de même ma première petite amie, c'est étrange comme sensation. Pouvoir l'embrasser, lui tenir la main, toucher sa peau tous les jours est une perspective étourdissante, enivrante même.

J'ai l'impression de devenir folle de joie. Depuis vingt minutes, je ne fais que répéter en boucle son prénom, comme une mélopée, avec un sourire béat sur le visage.

Dès que je suis rentrée à la maison, j'ai appelé Gaëlan pour lui communiquer la nouvelle. Son cri d'allégresse m'a explosé les oreilles. Après lui avoir promis une dizaine de fois de la lui présenter, il m'a lui aussi raconté quelque chose de beaucoup plus inquiétant.

Son père lui a demandé quand est-ce qu'il allait se trouver un petit ami, question à laquelle il n'a su que bégayer. Il a récolté pour la peine un regard suspicieux. Gaël a néanmoins réussi à rattraper la chose en arguant que les garçons qu'il connait ne sont pas intéressant.

Mais il craint de s'être dévoilé comme hétérosexuel. Je lui ai assuré que, même s'ils savaient, ses pères ne le dénonceraient pas, ils l'aiment trop pour ça, ce sont ses parents après tout. On ne peut pas rejeter son enfants juste pour ça, si ?

Gaëlan m'a dit qu'il avait fait ses recherches et que, malheureusement, dans la plupart des cas, c'était la famille du concerné qui dénonçait celui-ci.

Le problème, c'est que tel que je le connais, il risque fort de quitter Nomi, pour se protéger. Même s'il pensera que c'est pour elle, il le fera inconsciemment pour lui. Mais si quelqu'un est capable de le ramener à la raison, c'est bien elle. Il faudrait que j'aille la voir.

Je sais que l'inquiétude de mon Ami est passagère, elle n'entache pas ma joie.

Joie d'être enfin en couple avec Aileas, mais aussi du retour de PapAlvin à la maison.

Depuis la marche d'il y a trois mois, il n'avait pas encore pu rentrer. Les femmes qui sont venues mettre le bordel pendant la manifestation l'avaient quand même bien amoché. Quatre côtes cassées, en plus des complications entraînées par leur fracture, elles n'y sont pas allées de main morte. PapEven aussi a eu quelques problèmes, mais, étant plus costaud que PapAlvin, il s'en est seulement tiré avec un bel œil au beurre noir.

Peut-être est-ce dû au fait, assez rare, que je sois une fille élevée par deux hommes, peut-être est-ce juste moi, mais j'ai horreur de ces personnes qui souhaitent garder leurs privilèges pour eux. C'est comme les personnes qui ont les moyens de se payer n'importe quoi et qui font en sorte que ce soit les plus démunis qui en bouffent. C'est complètement stupide et d'un égoïsme sans nom.

En tant que femme, je suis d'avis à ce que nous laissions certains de nos avantages aux hommes, comme un peu de notre salaire par exemple.

Ce n'est pas normal qu'ils gagnent trente pourcents de moins que les femmes, pas plus qu'il n'est normal que nous ayons plus d'accès à la santé qu'eux.

Rien n'est normal après tout, ici.

Ce monde est fou.

Ouvrons les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant