Extrait quatrième

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Le 19 février **48

Désespérée, brisée.

Non, ce n'est pas assez fort...

Dévastée, réduite à néant...

Oui, c'est bien ça. Je suis réduite à néant.

Gaëlan... Mon Gaëlan... n'est plus.

Il n'est pas venu en cours, ni aujourd'hui, ni hier, ni aucun autre jour depuis une semaine. Il a été arrêté.

Et depuis... c'est comme s'il n'avait jamais existé. Comme si jamais je n'avais eu d'Ami. Jamais jamais jamais.

Emmené et enfermé au Centre. Et Nomi aussi. Quelqu'un a dû les dénoncer. Qui ? Ou bien ils ne se sont pas faits assez discret. Comment ? Cela faisait six mois qu'ils étaient ensemble... C'est si long et si court à la fois. Six mois qu'il connaissait le bonheur. Et maintenant...

Réduite à néant... C'est tout à fait ça, le néant. Pourquoi voudrais-je d'une vie sans lui ? Fay moins Gaëlan égal rien, zéro, vide absolu, le NÉANT TOTAL !

Je suis allée chez lui, hier. Malgré les larmes dans leurs yeux, ses deux pères ont fait... comme s'il n'y avait jamais eu de « Gaëlan » chez eux. J'ai exigé de voir sa chambre. Nous avons joué si souvent dans cette pièce. C'était là que nous discutions. Là que nous avons ri tant de fois. Là où il m'a parlé de son hétérosexualité.

Il n'y avait plus rien.

Néant.

Plus de lit, plus ses étagères remplies de bouquins, plus son bureau vert, que nous nous étions amusé à peindre, quand nous avions sept ans... plus rien.

Seulement une pièce vide vide vide. Réaménagée en salon.

À la place des étagères, du lit, du bureau, de l'armoire, seulement un canapé, une table basse, des fauteuils, un écran.

Je n'ai pas reconnu la pièce. Je n'ai pas reconnu ses parents.

C'est et ce n'est plus chez Gaëlan.

Un endroit si familier, devenu si étranger.

Le monde sans Gaël m'est tellement inconnu...

Depuis une semaine, je fais comme tout le monde : ignorer les maux est le seul moyen de s'en défaire, nous a-t-on appris. Faire comme si rien ne s'était passé est le meilleur moyen de se détacher des souvenirs douloureux.

Laissez-moi vous dire, ô très chers gens stupides qui ont inventé cette règle imbécile, que c'est complètement faux.

Refouler ses sentiments n'est qu'un moyen de les faire exploser plus violemment.

Tous les jours, je souris, je ris, comme tout le monde, comme les Autres.

Mais tous les jours, je hurle ma rage et ma tristesse. Tous les jours, les larmes inondent mon visage et mes pensées. Le moindre objet, la moindre parole me fait penser d'une manière ou d'une autre à Gaëlan et déclenche la bombe de mes émotions.

Aileas a bien tenté de me soulager de cette douleur. En vain. Cette gentillesse, cette empathie que j'aimais tant auparavant me sont à présent intolérables. Je n'ai pu que lui demander de me laisser en paix.

Maintenant, elle fait partie de ces Autres.

Il n'y a plus que Gaëlan et les Autres dans ma vie.

Tous ces pantins qui se soumettent aux règles, sous l'unique prétexte que les gens qui les ont faites savent mieux qu'eux ce qui est bon pour leur personne.

Pourquoi a-t-on décidé que telle personne serait acceptée et telle autre rejetée ? Pourquoi choisissons-nous automatiquement de détruire les différences ?

POURQUOI ?

Ouvrons les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant