Extrait huitième

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Le 18 novembre **50

À Ms. Even et Alvin

            Mes très chers parents.

J'aimerais vous parler une dernière fois, vous dire tout ce que je voudrais, tout ce que j'ai sur le cœur, une dernière fois. Je sais que j'aurais pu vous appeler, mais je n'en ai ni le temps, ni l'envie.

Je n'ai pas envie que vous entendiez ma voix et les sanglots qu'elle contient, pas plus que de renoncer à mon projet lorsque j'entendrai la vôtre.

14:15, il me reste encore un peu de temps...

Toute ma vie, je ne l'ai vécue que pour une seule personne. Je pense que vous vous doutez de son identité, puisque, après tout, je n'ai fait que dépérir après sa disparition. Il s'agit de Gaëlan. Pas besoin d'en dire plus, vous avez compris que mes sentiments envers lui vont bien plus loin que la simple amitié.

Vous vous interrogiez souvent sur mon brusque sérieux. Mes notes n'étaient récoltées que dans un seul but : intégrer le Centre, pour retrouver Gaël.

Je ne crois pas –plus ?- au hasard, nous allons donc dire que j'ai été embauchée parce que l'amour fait des miracles.

Et je l'ai retrouvé, enfin. Il y a un peu plus d'une semaine.

Inutile de s'épancher sur nos retrouvailles, le temps m'est compté.

14:23, écrire n'est pas très rapide.

Je voudrais aussi que vous vous excusiez de ma part auprès de Tina, elle ne mérite pas ce que je lui ai fait, ni ce que je vais lui faire. Allez aussi informer les parents de Nomi de sa mort. Ainsi que ceux de Gaëlan.

Et puis... j'ai une dernière requête.

Il s'agit toujours d'un message à passer, mais, cette fois-ci, il ne s'adresse pas à une ou des personnes en particulier. Ce message est à destination du monde, ou, plutôt, de l'humanité.

Vous savez, il y a quelques années, je me suis inventée un monde, avec une norme inversée. En d'autres termes, j'ai pris les plus gros problèmes de la société humaine, les ai inversé et ai, enfin, rajouté des hommes avec cette mentalité.

Et pouvez-vous deviner comment ils se comportaient ?

Exactement comme nous. Les discriminations y sont omniprésentes et la tolérance n'est pas le maître-mot de ce monde.

Peut-être serait-il temps de laisser ces vieilles pensées derrière nous, non ? Les violences, les injustices et les guerres ne peuvent être stoppées par l'action d'une seule personne, j'en suis bien consciente. Mais la volonté d'un peuple possède, elle, le pouvoir si sacré de changer les choses.

Il est temps d'ouvrir les yeux et de déchiqueter cette idée de norme que nous nous sommes imposés !

Vous comprenez, nous devons ouvrir les yeux. Ouvrons les yeux !

14:33, je dois me dépêcher.

Je vous en prie, communiquez ce message, puisque je ne pourrais le faire moi-même.

Ma vie s'arrêtera dans moins de dix minutes.

Ce matin, les analyses de Gaëlan ont donné leur verdict. Il est devenu stérile, le lot de nombreux patients du Centre. Personne n'en sait la cause, personne ne s'y intéresse de toutes manières. Il ne peut plus apporter sa contribution à la communauté, et la peine est la condamnation à mort.

Dire qu'il souhaitait être tué... le sort a d'étranges intentions parfois.

14:37

La sentence sera exécutée à 14:40. Je mourrai en même temps que mon frère d'âme.

PapAlvin, PapEven, je vous aime. Merci de m'avoir élevée ainsi, merci d'avoir fait de moi ce que je suis.

Tous mes écrits sont dans une boîte en fer blanc, que j'ai cachée dans mon gros pull vert, dans mon étagère de la maison. Les autres sont dans le deuxième tiroir du bureau de mon appartement.

14:39

Surtout n'oubliez pas. Je vous aime.

Et ouvrons les yeux.

           Fay.


Ces textes ont été découverts dans les ruines d'une petite maison. Ils reposaient dans une boîte en fer blanc, plutôt bien conservée malgré la rouille qui la consume. Cette boîte était placée sur ce qui ressemblait à un autel, et sur lequel trônaient trois photographies, assez défraîchies. Sur celles de gauche et de droite, on peut voir deux personnes, qui semblent de types masculins, en compagnie d'une petite fille. Sur le cliché du milieu pose une jeune femme au sourire éclatant. C'est tout ce que l'on peut distinguer, le reste est perdu dans le passé.

Ouvrons les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant