Alex
Je me mordis nerveusement la lèvre inférieure ; j'avais agi bêtement. Emporté par le jeu, j'en avais oublié qui j'étais, au risque de me faire remarquer.
Maintenant que c'était trop tard, je devait juste paraître naturel, afin de ne pas m'enfoncer un peu plus.
- Attrapée.
La surprise sur le visage de la jeune femme vira bien vite à une mine renfrognées.
- Je t'ai même pas entendu venir.
- Je souris pour toute réponse.
- Un point pour les jaunes.
Elle grimaça.
Pendant que je l'accompagnais à la base de mon équipe - un grand chêne - , je ne pus empêcher mes yeux de parcourir les alentours, suspicieux. Une animatrice me fixait. Ce n'était pas la première fois.
Un frisson me parcourut. J'en avais des sueurs froides. L'étudiante sembla le remarquer ; elle me questionna du regard.
Embarrassé, je passai une main dans mes cheveux. Un geste à bannir : il me trahissait.
- Tu sais pourquoi Leane me regarde tout le temps ?
- Non, j'avais remarqué aussi... Ça te met mal à l'aise ?
Je hochai la tête.
- Je suis plutôt discret, expliquai-je simplement.
- Mais tu sais faire preuve d'autorité et de respect : hier.
- Il faut bien parfois.
Le jeu continua. Et Leane garda ses iris braqués sur moi.
Masquer ses sensations, les oublier, tout cela était dur. La vue devait diminuer, les gestes ralentir, l'ouïe perdre de sa valeur, et surtout la sorte de prémonition, l'instinct, voilà la source du danger.
Leane ne m'inspirait pas confiance. Alice, c'était différent. Une aura de bienveillance l'entourait. Justement, ma méfiance devait s'élever à son paroxysme en sa présence ; les gens trop bons cachaient forcément de sombres histoires, un second visage.
Félix me sourit.
L'amitié. Quand j'étais enfant, petit, bien sûr que je connaissais ce sentiment. Mais à mes douze ans, quand ma vie avait pris un tournant, tout avait changé.
Ce ne fut qu'en venant ici en tant que jeune animateur, il y a deux ans, que ce plaisir s'était réveillé. J'en étais réduit à attendre les grandes vacances pour retrouver cette sorte de seconde famille.
Je me refusais à toute liaison extérieure. Si je voyais trop ces personnes, je ne pourrais continuer à leur mentir. Et je signerais. Je signerais de mon nom. Un de plus sur la liste.
Un monstre ? Non. Je suis quelqu'un de normal. À quelques différences près... Je ne veux pas passer pour l'un d'eux. Mais ai-je vraiment droit à l'existence ? Moi qui suis si différent ?
Mon cousin me crierait d'arrêter. De ne pas me voiler la face, d'accepter la vérité et d'en être fier. Pourtant je n'étais pas fort comme je voulais le montrer. Paraître était déjà une bonne chose pour moi.
Le déjeuner se passa bien : un groupe de petits avait accaparé Leane, je pus donc retrouvé le jeune Léandre et son meilleur ami, Joseph.
- Alex, t'avais pas fini de nous expliquer !
J'ouvris la bouche pour répondre quand quelques filles s'installèrent à nos côtés, faisant soupirer les garçons. Alice s'assit face à moi ; elle me sourit. Je fis de même. Mais au fond, je grimaçai d'inconfort.
- Alex ! Le Téméris !
- Calme-toi Jo, lui intima son ami.
- C'est simple, ris-je. Grâce à un système de polarité, il flotte. Et il y a des aimants par terre qui tournent assez rapidement et qui lui permette d'avancer très vite.
- Mais comment on l'arrête ? s'étonna un des petits.
- Le chauffeur a une pédale qui inverse la polarité des aimants du véhicule qui se retrouve donc attiré par le sol. Il se pose. C'est pareil pour le démarrage.
- T'as étudié le fonctionnement du Téméris ? s'intéressa l'étudiante.
Je hochai la tête.
- Et je devrais l'essayer l'année prochaine.
Il était rare que je parle de moi ; pas que cette petite confidence n'ait une quelconque importance, mais cette parole représentait beaucoup, un début de confiance peut-être. J'en fus surpris. Cependant mon visage resta le même : aucune nouvelle expression ne vint le revêtir, ou fut-elle bloquée par le masque de givre.
- C'est vrai, tu vas à Freyja ! C'est la seule ville qui a remplacé le Métro par le Téméris, non ?
- Oui, pour le moment. Freyja est en avance sur tout le reste du monde... dans le domaine scientifique en tout cas...
- T'as l'air vraiment passionné par tes études... remarqua une enfant.
Je souris.
Les études... Elles étaient tout ce qui m'avait fait tenir. Comme une main qui m'empêchait de sombrer. Mais celle-ci était trop faible pour me faire remonter la pente...Fais attention. Reste calme, discret, mais pas trop. Il suffit de connaître le juste milieu, la normalité. Quand on est différent, c'est dur. Ça ne l'est pas pour moi : je suis comme tout le monde. N'est-ce pas ?
- Prêt à leur mettre les jetons ?
- Félix, si tu parles si fort, on va se faire prendre.
- Ils sont encore loin.
- Non, ils arrivent, assurai-je. J'ai entendu du bruit.
- J'ai hâte !
- Félix ! On a dit moins fort !
Le brun croisa les bras et fis la moue.
- Alex, tu passes par derrière. Fais nous hurler les filles, ça sera drôle. Je m'occupe des garçons devant. Toi, Cléo, viens après, quand ils croient que c'est fini.
Immédiatement, je m'enfonçai dans le bois, contournant le groupe de petits.
Je m'avançai vers le dernier rang du petit cortège de randonnée : uniquement des filles. Dont Leane. Je grimaçai.
Plus loin, je sentis Félix surgir, je l'imitai, sautant sur une gamine et priant pour la survie de mes tympans.
Il y eut des hurlements, puis des rires, des poursuites. J'en oubliais presque ma condition. Laquelle ? Celle d'homme ordinaire.
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Différent (en pause)
FantasyAlice, une jeune étudiante en histoire et passionnée par les multiples races peuplant son monde fantastique, rencontre un dénommé Alex au comportement parfois étrange... Celui-ci, méfiant de nature, protège ses arrières et surveille l'héroïne. ...à...