Je me souviens d'un jour où j'ai quitté la classe en trombes, pile à la sonnerie. Les couloirs dansaient devant moi, tordus par ma vision embuée. Mon coeur était lourd, rempli de peines, de chagrins et d'une colère monstrueuse. Tout son poids m'enfonçait dans le sol, me happait vers le bas, comme un tourbillon qui m'aspirait dans ses entrailles. Je me souviens d'avoir agrippé la rampe d'escaliers. De toutes mes forces. Je me rappelle m'y être attaché comme si elle était mon dernier espoir, comme si elle seule me maintenait debout. Et, pas après pas, marche après marche, je me suis tiré vers le haut du bâtiment. Je suis arrivé sur le toit de l'école et là, je suis tombé à genoux.
Je ne voyais plus rien. Mes larmes obstruaient ma vue. J'avais du mal à respirer. Mes inspirations et expirations se mélangeaient, elles se superposaient. Tout mon organisme était déréglé. Je me suis effondré sur mon flan droit. Je me suis tourné encore un peu pour atterrir sur le dos. Dans cette position, je sentais mon coeur cogner dans ma poitrine. Si fort que j'en ai eu des hauts-le-coeur. Je me suis relevé et j'ai eu l'impression que j'allais vomir mon organe vital. Et au fond, Hym, je t'avoue que j'aurais aimé, à ce moment-là, l'avoir fait. Je priais pour que ça arrive. Parce que si ce bout de moi, si cette partie de mon corps renfermait tous mes maux, je n'avais qu'une envie. M'en débarrasser. Parce que ça faisait si mal, Hym.
Et je me suis retrouvé noyé dans mon chagrin, dans mes larmes et dans mes souvenirs.
Ça faisait aussi mal que lorsque tu es parti. C'était la même sensation. L'impression que l'air autour de toi se raréfie, que l'atmosphère, elle, se gonfle et t'aplatit. Le sentiment d'être enfoncé six pieds sous terre, le sentiment d'être enterré et privé de dioxygène. L'impression que le monde t'étouffe. Que la grandeur de cet univers vient de s'allonger sur toi et que subitement, elle t'écrase sous sa masse. Dans ces moments, tu te sens vidé de tout ce que tu pensais savoir, toutes tes connaissances perdent leur sens. Tu te perds dans tout ce qu'on a pu t'apprendre jusqu'à maintenant. Et tu suffoques.
Et à cet instant, tu as deux choix. Soit, tu te laisses emporter par le courant, soit tu le remontes. Soit tu te laisses glisser jusqu'à la chute d'eau, soit tu décides de rassembler le peu de force qu'il te reste pour faire face au torrent et le défier. Tu peux choisir de baisser les bras et d'abandonner ou d'encaisser ton dernier coup avant d'à ton tour riposter.
C'est ce qu'elle m'a dit lorsqu'elle s'est assise à côté de moi.
- Alors, qu'est-ce que tu choisis, Hyun?
Je tremblais. J'étais assailli de soubresauts et de spasmes en tout genre. J'avais du mal à produire un son audible à cause de ma respiration saccadée.
- Calme-toi. elle m'a ordonné. Calme-toi. elle m'a répété plus tendrement. D'accord, Hyun? Calme-toi. Tiens, regarde. Respire comme moi.
Je l'ai regardée prendre une grande inspiration et expirer tout aussi bien. J'ai tenté de l'imiter. Et ça m'a apaisé. Mes respirations se sont fait moins bruyantes et plus régulières.
- Voilà. Comme ça.
- Tu... Ne devrais pas être... Ici... j'ai dit avec difficulté.
Elle m'a regardé avec un sourire puis elle a secoué sa tête de droite à gauche.
- Je sais.
- Tu n'es pas réellement là, pas vrai? j'ai dit en regardant droit devant moi.
Je ne voulais pas croiser son regard. Sinon il allait m'hanter à jamais.
- Hyun...
Elle s'est approchée de moi. Du moins, c'est le ressenti que j'ai eu. Je l'ai ressentie près de moi. Elle était vraiment là.
- Tu sens, ça? Cet halo de chaleur qui vient de naitre en toi? elle m'a dit d'une douce voix. Elle ne te rappelle rien?
Une larme a coulé sur ma joue.
- Hym.
J'ai senti qu'elle confirmait.
- Cet halo, il est né en toi avec Hym. Et il s'agrandit avec moi. C'est notre présence.
Mes yeux se sont à nouveau imbibés d'eau.
- Ne l'oublie pas. Nous sommes là. Parce que tu nous gardes vivants, en toi. Nous avons cette chance que d'autres n'ont probablement pas. Le souvenir de notre personne, nous avons la chance d'avoir quelqu'un qui le garde et qui le chérit. Même si nous ne sommes plus ici, même si nous ne marchons plus dans ce monde, nous restons vivants. Grâce à toi. Tu nous maintiens en vie dans ton coeur. Merci, Hyun.
J'ai hoché la tête en gardant mes yeux rivés sur le sol.
- Alors qu'est-ce que tu choisis, Hyun?
Je vais me lever et aller contre le courant. Je vais prendre les armes et foncer dans le tas, me battre jusqu'à ce que le combat me déchire et me réduise à néant. Tant que je respirerai, tant que j'aurai la capacité de lever, que ce soit mon corps ou mon esprit, je le ferai. Je me battrai contre ce torrent. Je nagerai à contre-courant. Avec eux. Avec Hym. Et Eliha. Eux qui n'ont pas eu l'occasion de se relever à temps. Je nagerai pour eux. Et même pour des gens dont j'ignore l'existence. Je nagerai au nom de tous ceux qui n'ont pas eu la force ou qui ne l'ont simplement pas trouvée.
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nageons à contre-courant
Short StoryTu sais, si tu ne vis plus, je vais vivre à ta place. Je vivrais pour deux. Pour que même mort, tu puisses toujours vivre, quelque part. En moi, tu vivras toujours. Dans mon cœur. Je le partagerai en deux. Une part pour moi, une part pour toi. Tu n'...