Je marchais d'un pas hésitant vers la scène où je devais me donner en spectacle. D'autres femmes, plus ou moins jeunes, étaient avec moi. Elles souriaient comme si elles étaient profondément heureuses d'être ici. Or, nous savions toutes que c'était complètement faux. Être prises pour un simple bout de viande était loin d'être agréable. La musique était assourdissante mais elle me permettait de ne pas entendre les protestations en moi qui me demandaient de faire demi-tour. À chaque avancée, je me perdais un peu plus.
Je saisis la barre qui m'étais destinée sous le regard pervers des hommes de la salle et commençai à me mouvoir lentement autour. J'en profitais pour observer la pièce éclairée par quelques stroboscopes qui pendaient au-dessus des danseuses et du bar. Plusieurs tables encerclaient la scène, elles-mêmes prises au piège par de gros canapés rouges sur lesquels se trouvaient des infidèles, des célibataires et même des jeunes innocents. Tous là pour une chose, se rincer l'œil -et plus si affinités.
J'aperçus Mehdi non loin de l'endroit où je me trouvais. Il portait une chemise blanche décontractée et semblait être en pleine discussion avec un homme plus petit que je reconnus facilement : Allan. Ce dernier n'était vêtu que d'un simple jean et arborait un air hautain. Il était brun, probablement la quarantaine, et dégageait un charisme impressionnant. Je pouvais distinguer son nez cassé de là où j'étais, il avait dû s'en prendre de belles. Ils fumaient tous les deux en rigolant comme s'ils s'étaient toujours côtoyés. Mehdi avait toujours su se faire aimer des autres, c'était inné chez lui. S'il le voulait, il pouvait avoir n'importe quoi. Et n'importe qui.
Je grimpai à la barre en essayant d'imiter les mouvements des autres filles qui se débrouillaient comme des professionnelles. Me tenir en équilibre et soutenir mon poids n'était pas compliqué, je faisais énormément de sport depuis toujours. Le plus dur, c'était de faire des figures. Je n'avais aucune expérience en la matière, alors je me contentais de varier les techniques pour monter et descendre. Je ne maniais pas l'art du pole dance comme les autres mais j'étais de loin la plus rapide et la plus endurante.
Je zieutais Mehdi et Allan tout en continuant ma danse enflammée avec la barre pour ne pas rater le moment où je pourrai enfin m'en aller. J'aperçus mon meilleur ami me désigner d'un coup de menton, tandis que le visage du condamné se tourna vers moi.
À toi de jouer Marine.
Je donnais tout ce que j'avais et j'essayais de faire abstraction des regards qui fixaient l'infime bout de tissu brillant qui recouvrait partiellement mon corps en mouvement. Mes longs cheveux blond platine collaient à ma peau et la sueur perlait sur mon front. Il faisait chaud et mon corps s'embrasait. La barre, la musique, et moi ne faisions plus qu'un à ce moment-là. J'attendais les basses pour bouger et pendant un instant, j'eus l'impression d'être détendue. Et je me sentais bien. Les sifflements des porcs ne m'atteignaient plus, la musique n'étais plus qu'un lointain bourdonnement et mon corps s'exprimait seul.
Allan se trouvait maintenant à quelques centimètres de moi. Il me fit signe d'arrêter et de le suivre pendant qu'un rictus souleva ses lèvres, faisant apparaître des dents jaunies par le tabac. Je descendis de la scène et le suivis aveuglement jusqu'à une petite salle où trônait un lit à baldaquin. Le matelas était recouvert d'un fin drap rouge en soie et de plusieurs oreillers de même couleur. Quand il ferma la porte, je remarquai que la pièce était insonorisée. Cela nous faciliterait la tâche.
J'essayais de ne pas me laisser démonter par le dégoût que m'inspirait cet homme et commençai à le pousser sur le lit. Je me mis à califourchon sur lui et Allan balada ses mains sur mes hanches en me laissant prendre le contrôle. Grave erreur. Je caressai le coussin à ses côtés en souriant, ce qui sembla l'exciter. Seconde grave erreur.
J'entendis la porte s'ouvrir et je levai le coussin avant de l'abattre violemment sur la tête d'Allan. Résister à ses coups n'était pas chose aisée, je dus utiliser toute mon énergie pour qu'il cesse de se débattre. Quand je fus sûre qu'il n'avait plus assez de force pour riposter, je relâchai ma prise pour céder ma place à Mehdi.
Le patron du club mit plusieurs secondes à reprendre son souffle, secondes qui lui furent fatales. Mehdi lui assena plusieurs coups sans s'arrêter, malgré le sang qu'il reçut sur ses mains. À la vue du visage mutilé d'Allan, il se dégagea du lit et me lança un couteau que j'attrapai.
- Je te laisse finir, dit-il, haletant.
Je m'avançai en m'efforçant d'être forte mais je n'avais pas le sang froid de Mehdi. Je me devais de ne pas lui montrer. Il n'avait jamais laissé paraître une seule trace de faiblesse, hors de question que je le fasse. Je m'approchai du défiguré et plaçai le couteau sous sa gorge. Il respirait à peine.
- Une dernière parole ?
- Salope, articula-t-il difficilement.
Un sourire moqueur s'afficha sur mon visage alors que la lame trancha sa gorge, laissant couler un filet de sang sur ma main. Il fut pris d'un tremblement soudain. Il porte ses mains à son cou pour combler la plaie, en vain. Puis il s'arrêta. Je me figeai pendant que j'observais toutes formes de vie quitter le corps d'Allan. Ses yeux, à présent vidés de toute émotion, demeuraient ouverts. Le chaud liquide rouge continua sa traversée hors de son corps meurtri et son teint devint terne.
- Marine, faut qu'on se dépêche.
La voix de Mehdi me ramena à la réalité, mais je restais là, assise sur le lit, fixant une place maintenant vide pendant que mon meilleur ami emmenait un corps sans vie dans sa voiture. Et comme à chaque fois que j'ôtais la vie, je mourais un peu plus. Je dérivais une seconde, me demandant pourquoi j'en étais là en rêvant d'une autre existence.
Jusqu'à ce que de puissantes mains traînèrent mon corps et ce qu'il restait de mon âme à l'extérieur.
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Contrat [En pause]
AcciónMarine vivait d'argent sale depuis maintenant cinq années. Elle n'était pas fière mais rien ne pouvait la sauver. Elle jouait les intouchables pour éviter de ressentir cette culpabilité qu'elle détestait tant. Jusqu'à Gabriel qui amenait avec lui le...