Partie 2. Jisoo

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Je parcourus des yeux minutieusement la page internet affichée sur l'écran de mon ordinateur. L'article titrait "Big Hit Entertainement organise une offre de 1 place VIP pour la tournée mondiale de BTS à destination de l'ARMY coréenne". Mon âme de fan avait immédiatement été interpelée par l'accroche. Évidemment cela faisait rêver. La description stipulait ensuite que l'offre donnait la possibilité de rester et de voyager aux côtés des idoles durant 5 mois.

Je ne savais pas combien de fans allaient tenter leur chance. Un nombre bien plus important que ce que je pensais. Mais je voulais avoir cette chance. J'étais fan depuis les débuts du groupe, j'étais allée à tous leurs concerts ou presque en Corée. J'avais été la fan la plus fidèle possible sans pour autant être une de ces folles de sasaengs.
Cette place, je la méritais. Je passai rapidement en revue les conditions d'inscription qui consistait seulement à suivre BTS et Big Hit sur Tweeter et cliquai sur "Je participe".

J'éteignis ensuite mon ordinateur. Les résultats du concours tombaient dans deux jours. Je pouvais m'estimer heureuse d'avoir trouvé cette page à temps. Je jetai un coup d'œil à l'horloge de ma chambre et constatai qu'il était minuit passé. Nous sommes donc demain, ce qui signifie que les résultats seront publiés dans un jour seulement ! Pensai-je.

Je tressai rapidement mes cheveux bruns et me démaquillai pour aller me coucher. Avant de me glisser sous les draps, je m'assis devant mon piano. Enfin le terme "piano" était mal approprié. Il s'agissait plutôt d'un clavier. Je rêvais d'avoir un vrai et beau piano en bois mais malheureusement nous n'avions ni l'argent nécessaire, ni la place à la maison pour un pareil instrument. Je me contentais donc de mon clavier.
Le piano était ma passion depuis mes cinq ans et cela n'avait pas changé durant les quatorze ans qui s'étaient écoulés. Jouer de cet instrument me permettait de me défouler, de me libérer et de m'exprimer à ma manière. Presque comme un automatisme, je me mis à jouer First Love de Suga. Cette chanson était un chef d'œuvre. Je pouvais la jouer, encore et encore, sans la moindre lassitude.

Yoongi avait toujours été ce que les fans lambda appèleraient mon "bias". Mais pour moi c'était bien plus que cela. Yoongi avait une histoire, un passé douloureux qu'il exprimait sans larmoyer en rappant comme il savait si bien le faire. Il était également passionné par la musique et le piano tout comme moi. Je pensais que quelque part, je me retrouvais en lui. Il avait traversé l'enfer mais en était ressorti plus fort. Il en était de même pour moi. Mais il était inutile de ressasser le passé si ce n'était pour se dire que la situation actuelle n'était pas pire que celle déjà vécue. Pour revenir à Yoongi, il avait toujours été un modèle pour moi. L'une des seules personnes que je pouvais toujours avoir à mes côtés et par qui je pouvais être comprise même si ce n'était pas directement.

Je laissai à nouveau parcourir mes doigts sur les touches noires et blanches du clavier. Oui c'était cela, Yoongi m'apportait la force qu'il me manquait parfois. Il m'avait prouvé qu'on pouvait devenir plus fort sans être forcément entouré et en se sentant différent.

À vrai dire, différente, c'est toujours comme ça qu'on m'avait perçue et que je m'étais définie. Mais dans la société, le terme "différent" était péjoratif et signifiait être mis à l'écart explicitement ou pas. Au début, à l'école et au collège, c'était très difficile à vivre d'être différent. Parce que tout le monde était formé dans le même moule. Une petite fille ne vivant pas dans le faste habituelle pour les élèves d'une école privée mais dont les parents se saignaient pour payer les frais de cette dernière n'avait pas sa place parmi les autres. Une pré-adolescente ne possédant pas les codes idiots de sa classe d'âge ne pouvait définitivement pas avoir d'amis "décents". Une lycéenne ayant toujours des notes moyennes sans avoir le moindre intérêt pour les soirées, l'alcool et le sexe ne se faisait pas de place dans son groupe de pairs. C'était alors comme ça que j'avais grandi : seule. C'était dur au début. Assez violent. Surtout quand mes parents me martelaient que je ne faisais aucun effort pour avoir un semblant de relation avec qui que ce soit alors qu'ils se tuaient à la tâche pour me bâtir un solide capital social avec la future élite de Séoul.

Malgré leurs reproches, j'avais décidé que si avoir des amis signifiait devoir entretenir des relations hypocrites avec "la future élite de Séoul" et ceci uniquement dans le but d'avoir un bon carnet d'adresses, le jeu n'en valait pas la chandelle. Je ne comprenais pas cet espèce de comédie à laquelle tout le monde semblait se prêter. En clair, j'étais seule mais cela ne me posait plus vraiment de soucis.

C'était durant l'année de mes quinze ans que j'avais découvert un petit groupe émergeant de Kpop, comme il y en avait tant d'autres. Mais je trouvais celui-là différent. Déjà parce que personne ne croyait en eux à leurs débuts. Une grande majorité de gens les jugeaient parce qu'ils ne répondaient pas aux standards attendus, parce qu'ils critiquaient les sacro-saintes valeurs qui étaient inculquées à la jeunesse de notre pays à l'école. L'école...quelle plaisanterie. J'avais alors décidé de m'intéresser à eux et de les suivre puisqu'ils étaient comme moi. Pas grand monde ne croyait en eux et ils n'étaient pas réellement entourés.
C'est ainsi que j'étais entrée dans ce fandom qu'est l'ARMY.
Je détestais les Armys. Je les trouvais pathétiques, immatures et pour moi, elles voyaient leurs idoles comme des êtres parfaits. Choses qu'ils n'étaient absolument pas. Et c'était pour cela que Yoongi m'avait touchée. Il était loin d'être parfait mais il était fort.

Avant, je n'avais pas d'amis parce que je n'entrais pas dans le cadre d'une façon ou d'une autre. Aujourd'hui, à dix-neuf ans, je n'en avais toujours pas car on me jugeait méprisante. Mais très honnêtement, cela m'était bien égal.

Je m'arrêtai soudainement de jouer, réalisant que j'avais divagué dans mes pensées. Je regardai l'heure à nouveau. L'horloge indiquait deux heures et demi. En effet, j'avais eu une absence pendant un moment. J'éteignis mon clavier et me glissai sous les couvertures avant de m'enfoncer dans un sommeil profond.

                      *           *           *

"Jisoo ! Dépêche-toi tu vas être en retard !" Me cria mon père du bas de l'escalier.

Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claqua m'indiquant qu'il venait de quitter la maison. J'ouvris péniblement les yeux et consultai mon réveil. Il était huit heures moins le quart. Effectivement, j'allais être en retard. Mais mes études étaient bien la dernière chose qui me préoccupait. La sociologie, c'était ce que j'avais choisi par dépit à la fin du lycée. Ironique, non ?

Je décidai qu'une journée de cours manquée ne changerait clairement pas le cours de ma vie et abandonnai la mince détermination qu'il me restait à étudier. Moi ce dont je voulais vivre c'était de la musique. Composer des morceaux au piano était ce que j'aurais toujours voulu faire. Mais bien entendu, ce n'était pas un "vrai" métier. Peu m'importait de toute façon, je ne voulais pas faire ce que mes parents souhaitaient m'imposer et ils ne validaient pas ce que je désirais faire. Nous étions dans cette impasse depuis mon adolescence, c'était devenue une habitude.

Toute la journée, je composai, jouai, chantai sans jamais que cela ne devienne pénible.

Au retour de mes parents, je prétendis que mes cours de l'après-midi avaient été annulés. Cette explication leur avait suffie. Je passai alors la soirée dans ma chambre, seule puisque j'étais fille unique, à m'occuper comme je pus.
Je me couchai avec la certitude qu'enfin le lendemain, les choses allaient changer et que j'allais réaliser un de mes rêves les plus fous. Je le méritais et sans savoir pourquoi je me sentais confiante.

* * *

Contrairement à la veille, j'avais mis mon réveil tôt pour consulter les résultats du concours immédiatement. Je bondis hors de mon lit quand la sonnerie me tira du sommeil. J'allumai mon ordinateur et attendis tant bien que mal de me connecter au site sur lequel les résultats avaient théoriquement été publiés. C'était effectivement le cas. Un nom s'affichait en bas de la page précédé de la phrase : "Félicitations ! Le gagnant du concours est :".

Beyond The SceneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant