— Mademoiselle Moutsiga-Moussirou Shine Kini...
— C'est moi ! répondis-je fièrement en relevant le menton et en bombant le torse.
L'homme décolla les yeux de mon CV qu'il tenait entre ses grosses mains moites et me reluqua d'une manière assez désobligeante. L'envie de lui dire ma façon de penser me démangeait, mais je me retins en repensant à la mise en garde que ma sœur aînée m'avait faite quelques heures plus tôt :
« Il ne faudra plus compter sur moi pour te trouver un entretien si j'entends que tu t'es encore mal comportée. »
Je me contentai donc de soutenir le regard de ce gros monsieur, transpirant comme un porc malgré la climatisation de son minuscule bureau, en lui faisant mon plus beau sourire forcé.
Du calme, Kini. Tu es là pour décrocher ce poste de caissière alors tiens-toi tranquille et tout ira pour le mieux.
— Je vois que vous n'avez qu'un niveau de troisième et que le gros de votre expérience professionnelle se résume à un poste de coiffeuse dans le salon de votre sœur.
— C'est cela, Monsieur.
— Vous avez 21 ans, c'est bien ça ?
— Oui, Monsieur.
— Vous semblez intelligente et pourtant, pourquoi avez-vous abandonné vos études ?
C'est quelle affaire ça, il veut que je lui raconte ma vie ou quoi ?
— Ce n'était pas par choix, Monsieur, mais par nécessité. Mon père a perdu son boulot de cheminot à l'OCTRA (1) et ma mère, dont nous dépendions financièrement, est décédée quelque temps après. Donc avec ma sœur, on a dû prendre les choses en main pour donner une chance au dernier de la famille de faire ses études.
Je m'arrêtai là. Il n'était pas obligé de savoir que mon père alcoolique et coureur de jupons national avait abandonné son rôle pour faire la vie, m'obligeant à tenir le foyer à bout de bras car ma sœur, elle aussi, avait ses problèmes. Oui, il n'était vraiment pas obligé de savoir que j'étais devant lui parce que j'étais fatiguée de m'écorcher les doigts tous les soirs à force de rapper les tubercules pour faire le manioc que je vendais au marché. Je m'arrêtai là. Je n'avais pas envie qu'il ait pitié de moi.
— Ah ! Quelle bien triste histoire, soupira-t-il l'air sincèrement navré. Mais pourquoi avez-vous arrêté de travailler dans le salon de votre sœur ?
Celui-là, c'est pour congosser(2) ou pour me donner le boulot qu'il me pose toutes ces questions ? Vrai, vrai, s'il continue je vais l'insulter.
— Heu... Ça ne tourne pas bien en ce moment donc elle n'a plus trop les moyens de me payer.
— Je vois, je vois...
Il reposa mon CV et s'adossa sur son fauteuil, mettant en avant son ventre proéminent qui manquait de faire exploser les boutons de sa chemise à chaque expiration.
Mince ! L'ami tu es obligé de faire souffrir ton corps de la sorte ?
Je ricanai intérieurement en imaginant tout le mal qu'il avait dû se donner pour se vêtir.
Il lissa sa moustache de deux doigts et se racla la gorge avant de poursuivre :
— Sinon, vous avez quelle expérience en matière de vente ?
— Heu... De son vivant, ma mère vendait au marché. Donc je l'aidais souvent les week-ends et quand je n'avais pas cours. Ce qui fait que compter l'argent, rendre la monnaie, tout ça, je connais.
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Pauvre & Fière
General Fiction[EXTRAIT] Ceux qui ont l'habitude de croiser Kini dans les rues d'Owendo diront d'elle que c'est une jeune fille hors du commun. Déterminée à honorer la mémoire de sa mère dont elle a hérité la dignité et une foi inébranlable face à toute épreuve...