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— KINI !

— Chacha, ne commence même pas à crier sur moi, je...

— Je crie sur toi si je veux, espèce de sale petite ingrate ! J'use et abuse de mes relations pour te trouver du boulot et qu'est-ce que tu fais ? Tu vas cracher sur les gens ! C'était plus fort que toi ? Ta sauvagerie de Moulengui-Binza (1) là ne pouvait pas rester en sommeil le temps de ton entrevue ?

— De quelle bonne entrevue tu me parles même ? Tu m'envoies chez un pervers et tu veux que je le laisse faire son numéro sans réagir ? Il t'a au moins dit pourquoi j'ai craché sur lui ? Il voulait carrément que je me déshabille !

— Et alors ? Est-ce qu'il t'a violée ? Qu'est-ce que tu n'as jamais fait ? Je me demande même si tu es vraiment ma sœur, tu es trop maboule !

— Chacha, moi je t'ai déjà dit que je suis peut-être pauvre, mais il est hors de question que je me vende moins cher à des hommes sans valeurs !

— Qui t'a parlé de te vendre ? Il est question ici de subvenir à tes besoins. Tu crois que tu vas t'en sortir comment si tu ne fais pas un minimum de concessions ?

— Concessions ?! C'est comme ça que tu appelles ça ? N'importe quoi ! C'est plutôt de la prostitution ! Des individus qui n'ont aucune morale et profitent de la pauvreté des gens pour commettre leurs bassesses ! Je ne peux pas supporter ça.

— « Bassesses », la tête comme bassesses ! Toi tu sais même écrire ça ? Tu crois que tu vas devenir quoi sans diplôme ni homme capable de te sortir de ta misère ?

— Contrairement à toi je ne cherche pas à devenir quelqu'un ! Je suis telle que Dieu m'a faite et j'accepte mon sort. Si un jour Il décide de me sortir de la pauvreté, Il le fera et ce, en préservant mon intégrité !

— Ça y est ! Madame « Molière » a commencé à sortir son gros français ! On te trouve le piston, au lieu de te jeter dessus, tu fais ta belle. Comme c'est toi l'enfant que Dieu a bénie, il faut retourner dans ton trou d'Akournam (2) et trouver une solution pour payer ton courant. J'ai fait ma part, maintenant c'est terminé !

Elle me raccrocha au nez, me coupant dans mon élan. Je soupirai profondément et rangeai mon téléphone avant de demander l'arrêt au niveau de l'échangeur du PK5.

Ma sœur et moi étions sorties du même ventre, mais c'était bien la seule chose que nous avions en commun. Alors que j'étais plutôt du genre casanière, elle ne se sentait à l'aise qu'une fois hors de la maison. La jet-setteuse de la famille, les parents avaient tout essayé pour refréner ses ardeurs de fille de la nuit. Sans succès. Si du vivant de maman elle faisait des efforts pour faire acte de présence, après sa disparition, le semblant d'esprit familial qui régnait vola en éclat sans aucune autre forme de procès. Elle quitta officiellement la maison pour aller s'installer en colocation au quartier Bel-Air avec une de ses copines. Yoni, mon petit frère de 13 ans, mon père et moi restâmes donc les seuls à vivre dans la maison que notre mère nous avait laissée.

Après avoir pris trois taxis et un clando (3) afin d'économiser le peu d'argent qu'il me restait pour finir la semaine, je descendis devant la cabane en bois qui faisait office de boutique du quartier. Tenue par Amidou, un Malien installé au Gabon depuis peu, je m'y arrêtais souvent pour faire mes principaux achats car, me connaissant, il acceptait de me faire des bons (4) lorsque j'étais vraiment dans la galère. Je pris une boîte de sardines avant de poursuivre ma route en empruntant la petite piste de hautes herbes qui longeait la bicoque afin de rejoindre la maison située en contrebas.

Il devait être aux alentours de 17 h 30 d'après la luminosité qui commençait à s'affaiblir. J'accélérai la cadence en prenant garde à ne pas marcher sur un serpent et, une dizaine de minutes plus tard, j'arrivai devant la petite cour de la maison. Petit Pas, notre chien, se mit à aboyer de joie à ma vue. Mon cœur se serra lorsque, caressant ses côtes saillantes et voyant la fébrilité avec laquelle il tenait sur ses pattes, je me souvins qu'il n'avait rien eu à manger depuis plusieurs jours.

Pauvre & FièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant