Chapitre 2

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On s'élançait dans l'allée principale, Kadi conduisait les sourcils froncés et le regard pensif. Elle ne prêta aucune attention au feu rouge et slaloma entre les autres voitures. La radio diffusait encore l'une de ces minables chansons dénudées de toute créativité qui m'acculait sur cette terre familière.

-Kadi, est-ce que tu crois aux fantômes ?

Ma voix tremblait et mes yeux fixaient un point imaginaire sur la vitre.

-Bien essayé Scarlett mais je ne tomberai pas dans le piège.

Une fossette apparût sur sa joue et des plis se formèrent sous ses yeux, elle était de ces maints personnes qui ne croient que ce qu'elles peuvent voir et prouver, et malgré tout, ne connaissant qu'un lac et une roche qui lui gravite autour, prétendent déjà être maitre de ce qu'elles ignorent, créatrices de l'ignare et du savant.

Et tout ce savoir qui leur est brumeux, insensé ne peut être exprimé en ces pauvres mots rationnels dont l'imagination est bornée par le savoir vivre de la société mais je sus par la suite que ni moi ni même ma grand-mère n'appartenons à cette vie.

-Tout à l'heure après m'avoir demandé de te rejoindre à la réception, je me suis perdue.

-Je te l'avais dis, tu as bien hérité de l'orientation défectueuse de son père et puis...

Soudain je ne sais quel spécimen déchu du ciel heurta le pare-brise libérant un bruit fracassant. Des fissures coulèrent sur toute la vitre, certaines défiaient même les lois de la gravité et grimpèrent le long de ces cristaux détraqués, mais toutes sans aucune dérogation émergeaient d'une excavation perforée par ce bec au milles couleurs.

Mon cœur s'accélérait au fur et à mesure que je m'approchai du verre pour examiner cette créature déchue du ciel. Elle y resta collée, figée, son œil était totalement blanc n'avait pour ornement qu'une minuscule pupille parfaitement circulaire.

C'était un oiseau dont les plumes aussi noires que le vide dans notre conscience étaient traversées par des fils scintillants dont la lumière dansait au rythme d'un feu imperceptible.

Un oiseau dont la légende même était douteuse, dont la description ne figurait dans aucun livre, dont Grand-mère n'avait pour aucun cas freiné, les deux mains sur le volant et le visage virant parfois à droite parfois à gauche elle essayait d'apercevoir au delà des ondulations majestueuses de la queue de ce corbeau impérial.

Et d'un mouvement de la main, elle activa l'essuie-glace et le prince des ténèbres se retrouva catapulté à l'autre bout de la route, laissant derrière lui une énorme tâche.

-Pourquoi ? Criai-je.

-Je n'allais tout de même pas en faire un objet décoratif.

Kadi avait le visage impassible, ce qui ne rimait point avec sa nature optimiste et insouciante.

-C'était un espion, tu comprendras mieux quand on y arrivera.

-Arriver où Kadi ? Depuis tout à l'heure tu ne parles que de départ, de changements mais tout ce que je veux vraiment, c'est comprendre tout ce qui m'arrive je fais des cauchemars chaque nuit, j'ai été brulée vive le jour de son anniversaire et je me suis retrouvée dans une morgue frigorifiée juste avant qu'un je ne sais quoi ne tombe du ciel par pure magie sur le pare-brise.

J'étais tellement énervée que je ne remarquai même pas qu'on était déjà en banlieue et donc loin de chez moi, très loin même...

-Il n'y a plus rien dans ta chambre. Les valises sont dans la malle.

Elle avait ce don de lire en moi, de connaître mes pensées d'un simple

Coup d'œil et puis de ne prétendre que ce n'est qu'un miracle de l'hasard.

-Inutile de faire cette tête n'importe qui aurait pu le deviner rien qu'à l'assombrissement de tes yeux déjà noirs.

Je la dévisageais, elle avait beaucoup changé. Depuis mon réveil les plis sous ses yeux d'habitude fin et gracieux se trouve être envolés accompagnés de la sincérité qui jadis peuplait son sourire, laissant place à des cernes bleuâtres, un marécage où la vérité fuit la lumière de la justice, un puits où l'inquiétude se déverse d'un tintement pluvial.

-Tu dois partir mon petit gâteau chocolat framboise, ils t'ont retrouvée.

-Partir où ? En vacances ? Qui sont ces gens ?

Mon cœur chancela au sentiment de ne plus revoir ma maison, de ne plus gravir ces escaliers sur lesquels tant de sang a coulé, sur lesquels une dent s'est écrasée, une main s'est cassée, un gâteau s'est renversé, ces escaliers qui derrière leurs plaques de marbres semblent respirer l'enfance qu'on m'a offert, l'amour dont on m'a recouvert.

Mes yeux larmoyèrent à la simple vision de ne plus loger dans cette chambre dont la bonté funèbre m'imprégnait de ce souffle ardent qu'est la motivation, ma mère m'avait mis au monde sur ce lit, ce lit sur lequel je m'allonge et me libère, ma mère rendit l'âme sur ce lit, ce lit sur lequel je pleure et me déchaine, et le bébé que fus-je grandit sur ce même matelas, ce berceau dans laquelle ma tête s'enfonce, s'embaumant de l'odeur placide de l'ange qui veillait sur moi, et ce bambin que fus-je braille au fond de moi, noie mon cœur dans ses larmes pléthoriques, vide mes poumons par ses inspirations haletantes et prie le destin pour que tout s'arrête ,pour que tout recommence à nouveau.

Le nez bouché et la vision brumeuse je levais la tête pour contenir mes sanglots.

-Scarlett est-ce que tu m'écoutes ?

Je me mouchai le nez dans la manche soyeuse de mon sweat-shirt. J'étais l'une de ces rares personnes à porter mes vêtements d'hivers en plein été ma grand-mère disait que c'était aussi une autre des habitudes que j'avais hérité de ma mère, un froid insolite dont je comprendrais l'origine bien après.

-Je n'ai rien compris, rien compris à ce que tu me racontes, je voudrais pour une fois passer un été à la plage avec mes amis, bronzer, nager, me changer les idées, me trouver une place dans ce monde !

Ma voix tremblait colorée d'une teinte de colère inexpliquée, une colère contre le monde entier, une colère contre la place que je n'ai pu trouver parmi tous ces gens.

-Scarlett, mon pancake, ce n'est pas ton monde.

Je roulai des yeux et soupirai agacée.

-Mais évidemment j'ai froid l'été et chaud l'hiver, je rêve d'un lac toute les nuits, et je brûle dans le gymnase, quel monde voudrait de moi ?

Elle ne répondit pas et resta fixer la route sans aucune expression. Je me tortillai sur mon siège et finis par accouder ma joue sur la vitre qui vibrait tellement à m'en faire grincer les dents. Les maisons défilaient à toute vitesse et ce fut comme si la voiture roulait sur un gigantesque spaghetti aspiré savoureusement par une bouche titanesque et nous misérable morceau de viande essayant d'échapper à notre propre destiné.

Au lieu de continuer tout droit, Kadi prit le deuxième tournant à gauche, et se gara dans un parking d'un certain supermarché appelé Imperium.

-C'est donc cela, j'ai compris on part faire les courses pendant tout l'été ?

Kadi prit une grand inspiration puis se tourna vers moi, à l'image d'un dragon qui allait me pulvériser le visage.

-Écoute bien Scarlett et ne me rend pas la tâche encore plus difficile, il y'a mille et une chose que tu ne connais pas à propos de toi-même et de tes parents, mille et une chose dont j'espérais te protéger jusqu'à la fin de ta vie, mais les circonstances en avaient décidé autrement.

Mes sourcils se haussèrent, l'air me manqua, je voyais clairement la nouvelle approcher, se hisser des abîmes, ensanglantée, damnée, rampant à quatre pattes, les cheveux exécrables pendulant sur un visage assoiffé de vengeance.

Amber&GoldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant