Jessie

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Jeudi 15 juin 2017

" J'aimerais tant ne pas le croire, j'ai peur, j'ai mal, la vie est dégueulasse, mais pas pour moi, j'ai eu de la chance, mais pas elle bordel, pas la fille au regard perçant, comment ça a pu arriver, si seulement... si seulement quoi ? Je suis plongé dans la confusion la plus totale, un imbécile paumé, c'est ce que je me contente d'être."
Jessie relut ceci pour la cinquième fois, la stupéfaction laissait place à la perplexité, le cahier de doléances lui parut soudain dangereux, les élèves ne l'utilisaient pas comme l'avait demandé la directrice, cela représentait une menace pour le bon fonctionnement du système scolaire. Après mûre réflexion, Jessie décida de détruire le carnet, mais il fallait le faire symboliquement, sinon cela détruitait également l'honneur de Madame Mourin. Elle pensa qu'il fallait qu'elle le dépose quelque part où personne ne pourrait le retrouver, mais pas chez elle, Jessie se l'interdit, ce n'était pas correct. Soudain, une idée éclaira ses pensées, elle allait le poser dans les égouts, il y a un réseau de plaques dans toutes la villes, l'un des tunnel souterrain devait bien circuler sous le collège, songea Jessie qui trouvait son idée excellente. Satisfaite, elle courut prévenir son amie de ce qu'elle s'apprêtait à faire après les cours, mais celle-ci ne fut pas d'accord avec elle, Kenalia secoua la tête et lui lança :
" Je ne vois pas pourquoi tu t'es mis en tête qu'il fallait supprimer le carnet et encore moins pourquoi tu veux le mettre dans les égouts, c'est dégoûtant !
- C'est symbolique, tu ne comprends pas, je vais le déposer sous le collège, c'est enthousiasmant comme concept, répondit t-elle !
- pff, ce n'est pas à toi de décider si le cahier doit disparaître, c'est ridicule.
- C'est à moi que Madame Mourin l'a confié, je te signale, et ce n'est pas ces élèves incompétents qui, un jour, seront des personnes importantes, c'est à moi de décider pour eux, annonça Jessie déterminée.
- Tu plaisantes, s'indigna Kenalia dont la colère déformait les traîts, qui appelles-tu élèves incompétents ? Tu parles comme ta mère, tu te prends pour qui ? Tu n'es pas une personne importante, ça ne veut rien dire !"
Jessie ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son ne sortit, son enthousiasme était retombé, les mots de son amie la transperçaient comme des centaines de coups de couteaux qu'on lui avait délibérément planté dans la poitrine. Elle se sentit honteuse, Jess regrettait ce qu'elle avait dit à Kenalia, elle ne le pensait pas, et elle était consciente qu'elle s'était conduite comme sa mère, Jessie grimaça à la perspective de devenir comme elle. Il lui fallait déposer le carnet, plus que tout, il fallait qu'il n'y ai plus de trace de cette discussion, à commencer pas faire disparaitre le cahier.

Le cahier sous le bras, Jessie s'élança dans la ruelle, elle aperçut une plaque d'égout et se hâta de l'ouvrir, après quelques efforts, la plaque céda, Jess souffla, soulagée. Elle emprunta l'échelle et s'engouffra sous terre. Une fois le pied posé sur le sol dur et humide, Jessie remarqua que l'air était froid et enfila sa veste. Un frisson d'excitation parcourut son corps, elle se sentait libre, audacieuse. Elle s'enfonça dans les égouts et s'aperçut qu'il était impossible de savoir où ils menaient. L'angoisse commença à la gagner mais elle se ressaisit, ça ne devait pas être si difficile après tout.
Jessie marcha une dizaine de minutes sans trouver la moindre trace de la présence du bâtiment du collège, désespérée, elle fit demi-tour. Jessie avança dans l'obscurité pendant une demi-heure, puis s'arrêta, quelque chose n'allait pas, si elle avait pris le même chemin qu'à l'aller, elle serait déjà arrivée. La panique prit soudain possession d'elle, ses yeux s'arrondirent et sa respiration s'accélèra. Alors que sa poitrine se soulevant et s'abaissait à un rythme étonnant, Jess cherchait désespérément à rentrer chez elle. Les mains crispées, Jessie saisit son téléphone et appela Kenalia, le goût amer de leur dispute de l'après midi lui revient en bouche et elle espérait que son amie lui répondrait. Après l'interminable sonnerie, la voix ferme et légère de Kenalia retentit dans l'interphone :
" Allô ? Jess ?
- Salut Kenalia...(silence) heu, je suis perdue...
- D'accord, hasarda Kena, ça va ? Tu as l'air... Disons hésitante.
- Oui, enfin non, répondit Jessie incapable de contrôler ses tremblements et effrayée par le gêne qui s'était installé entre elles, je suis dans les égouts.
- Ho, je vois, j'imagine que tu as laissé le cahier, dit t-elle sèchement.
- Non, mais je me suis perdue, je n'arrive pas à rentrer.
- Quoi ? Comment tu as fait ? Il doit bien y avoir plusieurs plaques qui mènent en ville, comment fais-tu pour te perdre?
- Il fait noir...
-J'arrive, tu ne sais vraiment pas où tu es ?"
Jessie secoua la tête avant de se rappeler que Kenalia ne pouvait pas la voir, elle répondit par un timide "non" et son amie raccrocha.
Jess décida de ne plus marcher et s'assit sur la surface lisse et froide du sol des égouts, elle ramena ses genoux à sa poitrine et se laissa aller, c'était une drôle de situation dans laquelle elle s'était fourrée, c'était presque ironique. Jessie se mit à chantonner " Into the fire ", les larmes coulaient silencieusement sur ses joues , cette journée forte en émotions avait changé une partie de Jessie, et elle n'était pas finie. Une voix forte et emplie de doutes lança :
" Hey ! Il y a quelqu'un ?"
Ce n'était pas Kenalia, mais si elle voulait sortir, elle devait tenter de chance, Jessie prit son courage à deux mains tout en espérant qu'elle ne risquait rien, répondit :
" Oui ?
- Jessie ?
- Comment tu connais mon nom ? Qui es-tu, s'affola Jess ?
- C'est ton amie qui m'a prévenu dans l'après midi, je suis venu chercher le carnet, l'as-tu déjà déposé ? Pourquoi n'es-tu pas rentrée chez toi, questionna t-il ?
- Le cahier est ici, et je me suis perdue.
- Vraiment ? Je te propose un marché, tu me rends le carnet et je te conduis chez toi, dit t-il malicieusement.
- C'est du chantage, s'emporta Jessie !
- Oui mais c'est parfaitement légal.
- Je suis sûre que si je refuse, tu me reconduiras quand même hors de ce trou.
- Tu as raison, mais après tu vas t'en vouloir d'avoir mené à la baguette un collégien démunis, rétorqua le nouveau venu.
- Tu n'es pas un collégien démunis.
- Comment peux-tu le savoir ?
-JESSIE !! Pourquoi ne réponds-tu pas à mes appels ? Ça fait quarante-cinq minutes que je te cherche, hurla Kenalia qui arrivait en balançant les bras, une lampe de poche dans la main ."
Après quelques brèves explications, Jessie comprit que Kenalia avait mis au courant toute la troisième sur ses intentions de faire disparaitre le cahier.
Le garçon venu chercher le carnet vint se présenter :
" Moi c'est Gabriel, et j'aimerais beaucoup garder le cahier de doléances, je pense qu'il n'est pas encore temps de le supprimer, et tu vas comprendre pourquoi, laisse moi quelques minutes que j'appelle quelqu'un."
Jessie n'eut pas le temps de répondre que le dénommé Gabriel saisit son téléphone et appela cette personne.
" Je suis dans les égouts, prends une lampe frontale, amène Marjo et venez tout de suite, tu vas comprendre pourquoi, passes par la plaque à côté du collège."
Il raccrocha.
Tous trois attendirent quelques minutes, personne ne dit mot. C'est alors qu'un nouveau cris retentit :
" ALLÔÔÔ GABRIEL ! T'ES OÙ PUTAIN !
-ICI ."
Un garçon approchait en courant, il était essouflé, une fille le suivait, elle ne semblait pas fatiguée et riait .
" Je sais pas ce qu'il m'a pris de te rejoindre, depuis quand on se retrouve dans les égouts, demanda t-il ?"
Jessie devisageait la scène, interdite, elle n'avait pas confiance en ces collégiens, elle se rapprocha inconsciemment de Kenalia qui, elle aussi semblait perplexe et méfiante.
Gabriel lança la discussion :
" Mathis, tu dois nous raconter ce à quoi tu as assisté, il faut garder le carnet, le collège en a besoin pour communiquer." Il fit une pause puis reprend plus délicatement :
" Et aussi parce qu'il faut qu'on mette les choses en clair, je veux comprendre. Tu dois nous parler même si ça fait mal, ça te soulageras peut-être."
Jessie vit Mathis qui se balançait d'un pied à l'autre, gêné, il prit une grande inspiration puis se lança dans son histoire :
" Si tu y tiens tant... La semaine dernière, quelqu'un que je ne connais pas m'a donné rendez-vous à la boulangerie, pour je ne sais quelles raisons, j'ai accepté. J'y suis allé, et j'ai attendu, mais personne n'est venu. Au bout de quelques temps, je m'apprêtais à partir, puis j'ai entendu un hurlements, j'ai couru vers le cri, et j'ai vu la fille au regard perçant, celle qui m'avait donné rendez-vous, celle qui était sous la voiture, celle qui mourrait devant mes yeux, d'un accident terrible. "
Il prononça ces mots puis baissa la tête, Jess comprit qu'il ne dirait plus rien.
Kenalia poussa un cri de frustration avant que quiconque ne réagisse, puis s'insurgea :
" Impossible ! Elle ne peut pas être morte ! Non, non ! Je ne veut pas ça !"
Mathis leva brusquement la tête et la regarda, malgré l'obscurité, Jessie devinait la lueur d'espoir qui brillait dans les yeux de Mathis qui s'adressa à Kenalia :
" Tu la connais ?
- Non, mais je la voyais tout les matins, mais je ne pensais pas... J'espérais un jour aller lui parler...
- Ho je vois, répondit Mathis dont le déception déformait les traits."
Un silence gêné s'installa, et Jessie se décida enfin à parler :
" J'admet que je suis un peu perdue, je propose qu'on se voit demain ailleurs, j'aimerais vous connaître et... heu... On est toujours dans les égouts alors qu'il est 19h... donc peut-être...
- Quoi ? Déjà ! Merde ! Il faut que je rentre, s'exclama Kenalia !"
Gabriel rit puis annonça :
"Drôle d'endroit pour discuter, je confirme. Demain, après les cours, au parc Saint-Exupéry, ça me paraît bien.
- Ça me va, dit joyeusement celle que Gabriel avait appelé Marjo au téléphone quelques minutes auparavant."
Tous suivèrent Mathis qui était armé de sa lampe torche et purent sortir des égouts.
Après un timide : "À demain."
Jessie rentre chez elle.
Elle justifia son arrivée tardive en prétextant être allée à la bibliothèque. Sa mère lui reprocha son silence puis la laissa tranquille. Jessie s'endormit à poings fermés.

Le cahier de doléancesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant