Chapitre 2

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            Mes écouteurs sur les oreilles, avec Photograph d'Ed Sheeran, je pousse de mon pied gauche, puis du droit, sur le bitume de la piste, me laissant glisser ainsi sur les quais de la Seine. Aujourd'hui, le vent de septembre est mon allié, il ne lutte pas contre moi pour me ralentir, je peux avancer sans effort, sans contrainte, sur mes rollers. Rouler. Pour moi, il n'existe rien de plus apaisant, même quand je chante, ce qui est l'un de mes autres passe-temps, je ne suis pas dans cet état de détente. Je contrôle tout. Sur mes patins, j'ai enfin la sensation de vivre. Mes cheveux roses virevoltent autour de moi tandis que je poursuis mon chemin.

Ma mère m'a transmis cette passion quand j'étais petite. Elle m'a fait porter mes premiers rollers à cinq ans. Puis quand j'ai eu huit ans, elle m'a emmenée ici. J'adore mes rollers, blancs personnalisés avec des lacets turquoise et des éclaboussures rose pâle sur la chaussure. Je les ai achetés il y a deux ans et j'en prends soin. Des rollers quad, bien sûr, pas ces rollers en ligne dernier cri. Le vendredi soir, c'est mon rituel, patiner sur les quais en espérant voir le soleil se refléter sur la Seine. J'aime Paris pour ça. Pour ses longs trottoirs au bord du fleuve, face au musée du Louvre, dos au musée d'Orsay. Il faut choisir ses horaires pour éviter de tomber sur la vague de touristes. Mais qu'il pleuve ou qu'il vente, jamais je ne rate ce moment. J'en ai besoin. J'ai rendez-vous avec moi-même, avec l'Amy du passé. J'ai commencé à venir ici toute seule, il y a six mois. Les médecins m'avaient conseillé de ne pas forcer, mais je ne les ai pas écoutés. Venir ici, c'était un besoin que personne ne comprenait.

J'arrive à destination et m'approche du muret qui longe la Seine.

Pile à l'heure.

Le soleil éclaire l'eau et ses rayons offrent un spectacle unique et magnifique, mais toujours éphémère. Les souvenirs affluent, c'est le seul endroit où ils ne me sont pas douloureux, où les cicatrices dans mon dos ne me provoquent pas une douleur imaginaire. Un Bateau-Mouche passe devant moi, un peu en contrebas, mais je le vois à peine. Mes pensées m'absorbent. Le manque m'irradie le corps entier mais la colère aussi. Malgré les mois écoulés, je ne pardonne pas, je n'y parviens pas.

Ma gorge se noue, c'est le signal. Les larmes vont poindre. Dix minutes, c'est suffisant.

Je ne peux pas la laisser me détruire, pas ici. Je ne peux pas la laisser me gâcher cet endroit.

Je pivote sur mes roues. Il est temps. Les yeux rivés sur le sol, je me laisse glisser sur la piste cyclable, mes mouvements suivent le rythme de la musique. J'observe les feuilles d'arbres qui commencent à devenir orange, signe que le temps ne va pas tarder à se rafraîchir. La voie est déserte devant moi. Je me laisse aller en fermant les paupières. La sensation des patins sur le sol me détend et me donne l'impression de partir loin. Loin d'ici, loin de ma vie, loin de mes problèmes.

Soudain, je percute un poteau. L'impact me projette en arrière et j'atterris sur les fesses, me tirant de ma rêverie.

Aïe !

Il n'y a pas que mes fesses qui souffrent. Mon orgueil et ma dignité sont atteints eux aussi. Ma chute était juste... ridicule. Même le poteau que j'ai heurté doit se moquer de moi.

— Est-ce que ça va ?

J'ouvre les yeux en grand.

Oh non ! Le poteau parle ! Le poteau n'est donc pas un poteau...

Je suis rentrée dans un parfait inconnu. Du sexe opposé !

— Pardon, bredouillé-je, rouge de honte.

L'inconnu s'agenouille à côté de moi et j'aperçois son visage.

Oh, mon Dieu ! L'inconnu n'est pas un inconnu !

Derrière un sourire (sous contrat D'édition Avec Alter Real)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant