Éternelle

Piège

Les lumières sont déjà éteintes, c'est sans surprise, je ne suis absolument pas à l'heure. Ce qui me paraît plus étrange par contre c'est qu'il n'y ait personne dans la salle. J'avance tranquillement, jouant le rôle d'une personne cherchant son numéro de siège, faisant semblant d'avoir du mal à déchiffrer les nombres, dans le noir. Tandis que je me glisse dans la peau d'un personnage inventé de toute pièce, j'observe les dessous de sièges en passant pour voir si quelque chose ou quelqu'un y est caché. Je ne vois rien pour l'instant et continue ma lente avancée.

Finalement, un éclat métallique attire mon attention sur un des sièges. Le 37. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond mais je ne comprend pas quoi. Le logo du siège 37 ne correspond pas à celui des autres... Il est différent, familier, comme ci je l'avais déjà vu quelque part. Je mets quelques instants à comprendre : c'est le numéro de la maison victorienne. Celui peint sur la boîte au lettre en métal. Il a été découpé et placé là à mon intention, par la personne ayant créer tout ceci, toute cette illusion...

Elle. La fille de la soirée me manipule depuis le début. Je pense que je m'en doutais bien évidemment... Elle doit, d'une façon ou d'une autre être en lien avec mon père. Ce qui veut dire qu'il m'a retrouvé. C'est pas bon, pas bon du tout. Il va falloir en finir au plus vite, je n'ai plus beaucoup de temps. Je suppose que je vais devoir éliminer la fille. C'est sans doutes son objectif depuis le début de toute façon, me tuer ou me ramener de force à mon père.

Les pièces du puzzle commencent à s'assembler, mais je ne peux pas bouger, je suis comme figé. De toute façon, je savais que ça arriverait tôt ou tard, mais je pensais réussir à me cacher moins longtemps, du fait de mes aptitudes en matière d'anonymat... La musique de commencement du film me tire de ma rêverie. Je ne peux décemment pas continuer à faire semblant de ne pas avoir vu le siège... Tout va se jouer sans doute en quelques secondes, d'efforts physique, qui va sans doute se solder en échec pour elle, je pense être plus fort et à même de vaincre physiquement qu'elle. Je m'assois sur le siège 37.

Le moment crucial est arrivé, pour pouvoir me surprendre, elle doit forcément être sur la rangée juste derrière ou juste devant moi... Ayant observé celle devant, elle est forcément derrière. Du à la forme des sièges, je ne peux me retourner complètement. Il va donc falloir que je fasse un choix crucial. Me retourner un peu vers ma droite ou vers ma gauche. Elle n'est pas stupide, elle a du remarquer que j'étais droitier. La logique voudrait donc que je me tourne vers la gauche pour avoir mon poing droit à disposition, ce qui en soit, me donnerait l'avantage et ne serait pas une si mauvaise idée. Mais elle l'a sans doutes prévu, c'est pourquoi elle s'est probablement placé à ma droite, pour me surprendre dans le dos. Je me tourne donc vers la droite et j'attends. Le film a commencé depuis longtemps et j'enregistre les dialogues dans ma tête, au cas où ils auraient un rapport avec ce qui se passe actuellement. Je pense tout de même que c'est vain. J'attends quelques instants.

Je ne respire presque plus et n'entend aucun bruit suspect. Au bout d'un moment, la certitude d'un piège m'envahit et je commence à me dire qu'il valait mieux ne pas venir. Quelques minutes passent encore, faisant accélérer un peu plus mon coeur. Tout d'un coup, un rire déchire le silence. Je reconnais la voix de la femme de la soirée. Immédiatement, je cherche où elle est, commençant par là où je situe le rire à peu près. Je trouve l'endroit en question, mais ne m'arrête pas dessus, continuant à tourner la tête dans tous les sens.
- Tout ça pour un portefeuille...
La voix vient toujours du même endroit, mais je commence à détecter une anomalie... Comme un grésillement dans cette voix.
- J'espère que tu n'as pas pillé mes économies !
J'aurai pu trouver mieux comme répartie, mais, mon cerveau travaille actuellement sur d'autres sujets. J'essaye de comprendre pourquoi la voix me paraît étrange.

- Ce ne serait pas une grande perte de tout façon.
- Chacun son avis sur la question.
Ça y est, j'ai compris, la voix qui grésille sort en réalité d'un micro, mais, le léger écho que j'entends prouve qu'elle est quand même dans la salle, juste qu'elle s'exprime doucement, tandis que la musique du film couvre sa voix. Une personne banale n'aurait pas décelé cela... Mais je ne suis pas une personne normale.

Je l'ai situé maintenant, elle est juste à côté de la porte de sortie. Pour jouer le jeu, je fait semblant d'avoir seulement trouver le micro et de croire dure comme fer qu'elle est à cet endroit.
- Tu peux sortir de ta cachette ?
Ça me fait bizarre de m'adresser à ce que je sais être du vide, mais bon, si il faut en passer par là... J'entends de très légers bruits de pas, elle s'est mise en mouvement. Je sais très bien qu'elle va finir par arriver juste derrière moi, mais je continue à regarder à l'opposé. Finalement, en calculant sa vitesse de part les sons que j'entends, j'estime que d'ici moins d'une minute elle arrivera à moi. 50 secondes. 40 secondes. 37 secondes. 20. 10. Il ne reste plus que cinq secondes, j'entends sa respiration, je sens presque son souffle contre ma nuque.
Je me retourne et lui saisit le poignet. Elle paraît surprise et amusée par mon geste. Je décide de jouer franc jeu dès maintenant, c'en est fini des masques.
- Ou est mon père ?
- Attends, attends, pas si vite. Avant de nous foutre sur la gueule, on avait pas un plan cul à finir ?
Je souris :
- Ça me paraît être une bonne idée.