Éternelle

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Elle attrape ma tête et m'embrasse fougueusement, sa langue caressant la mienne. Je me lève de mon siège, ma main descendant le long de son dos pour m'arrêter sur ses reins. Elle enlève son blouson de cuir. Le fameux blouson qu'elle aime qu'on lui enlève... Enfin, si elle n'a pas menti également sur ça... Cette pensée me fait perdre un peu d'ardeur. Je me remet vite à ma tâche, tout en gardant  à l'esprit l'existence du couteau à cran que j'ai pu sentir dans sa poche arrière droite. Elle peut le saisir à tout  instant, c'est un danger de mort. Une personne se trouvant dans la zone de vie d'une autre, si elle a une arme blanche, est presque sûre de gagner en combat singulier...

Je garde tout ça en tête en arrachant littéralement ma chemise... Enfin, je garde presque tout ça en tête. Nous nous allongeons sur le sol après que j'ai fait disparaître son jean dans un coin du cinéma. Je ne sais pas vraiment à quel moment cette plus ou moins banale histoire de jambes en l'air se change en lutte pour survivre. Je commence par immobiliser la main du côté du couteau... Attendez. J'ai fait une erreur. Le couteau était parti bien évidemment avec le jean. Qu'est ce que je suis con ! Je me doute de ce qui m'attend. Dans son autre main se trouve évidemment un tazer. Je ferme les yeux pour recevoir la décharge.

Je me réveille ligoté à une chaise. Enfin, chaise qui se caractérise par l'aspect d'un siège de cinéma. Je tente de pousser sur la corde, mais elle est bien serrée, et je ne fait que resserrer le noeuds un peu plus. Je tente avec mes mains dans mon dos, mais ça se révèle tout aussi vain. Finalement, je la regarde dans les yeux. Elle est vraiment belle, rien à dire la dessus. Mais je décerne maintenant autre chose dans ses yeux. Comme de la peur. Et je sais très bien de qui elle a peur. Pas de moi, non, je ne suis pas assez vaniteux pour penser cela, mais ma tête, quand j'étais endormi, a du lui rappeler mon père. Et de lui, elle peut, en tout cas elle devrait, avoir peur :
- On peut lui échapper tu sais, regarde moi, j'ai réussi jusqu'à maintenant...
- Oh, d'ailleurs te voilà en super position, ça marche bien ta technique.
- Tu sais, à deux, on survit bien plus longtemps...

Je commence à entrevoir une échappatoire à cette situation qui paraît pourtant si désespérée.
- Tais toi s'il te plaît, tu me fatigue.
Autant pour mon échappatoire... Je me demande un peu comment relancer la conversation. J'ai l'impression d'être un adolescent banal, tachant de séduire une fille par le biais de son portable... Comme des milliers de gens le font chaque jours. Et pourtant, je n'ai jamais été dans cette situation, mon adolescence ayant été au préalable gâchée, dévastée par Madame Orveigne et ses renforcements. J'ai trouvé finalement :
- Tu sais, dans mes fantasmes, c'était toi qui était attachée sur une chaise...
- Dans un but non catholique je suppose.
- C'est le cas de le dire.
Elle sourit. C'est une bonne chose, mon intérêt est de gagner du temps.. A moins que mon père soit déjà en route. Dans ce cas qui me semble plus que probable, je dois me dépêcher. Je commence à élaborer les stratégies possibles. Pendant ce temps, je fais doucement aller mes mains d'avant en arrière pour dénouer la corde, je sens le noeuds qui cède petit à petit...
- Alors comme ça, toi aussi tu arrives à prévoir des choses de manières efficace ?
Ma question est sortie tout seul, ça me démangeait depuis un moment...
- Pas aussi bien que toi...
- Ah bon ?
- Oui, j'arrive à prévoir quelques dialogues mais c'est globalement tout.
- C'est déjà bien, et comment penses tu réussir à faire cela ?
- Et toi ?
Je souris, je me suis souvent posé la question, je pense avoir trouvé la réponse, c'est grâce à mon entraînement.
- Je pense que c'est de la pratique et un talent inné.
Elle semble réfléchir à ce que j'ai dit, comme un jury cherchant une note pour un livre ou un film.
- Je ne suis pas de cet avis, je pense que nous sommes médiums mais qu'on est trop fiers pour se l'avouer...
- Trop fiers ?
Je ne comprends pas bien où elle veut en venir.
- Bien sûr, c'est beaucoup plus glorieux de penser être meilleur que les autres grâce à son entraînement et sa volonté personnelle que de se dire que c'est tout bonnement inné.
- Pas faux.

Elle semble hésiter à me poser une question. Je commence à avoir du mal à tenir. J'ai une limite tout de même. Je crois que j'en ais assez vu.
- Je me demande pourquoi tu y arrives mieux que moi.
Le moment est peut être venu de lui faire comprendre. Ça ne changera rien mais ça me fait plaisir. Je ne vais plus tenir que quelques minutes voir secondes maintenant.
- Tu n'as pas idée d'à quel point je peux prévoir les choses longtemps à l'avance...
Je la vois se questionner sur le sens de ma réponse, évaluant les différentes hypothèses qui s'offrent à elle. Finalement, elle choisit la bonne solution à son problème :
- Tu es en train de prévoir... Depuis quand ?
- La soirée bien sûr.
- Donc, tout ce qu'on vient de voir n'arrivera pas.
Je sens la sueur perler à mon front, je dois finir maintenant.
- Ça devait arriver, mais je vais changer la donne.
- Tu sais qu'on finira par te rattraper, où que tu sois tu ne lui échappera pas...
Je souris, c'est le moment de repartir en arrière.
Je revoit le cinéma, moi ligoté à cette chaise, mes recherches à partir de sa fausse carte de travail, elle qui va chercher son blouson, nous qui nous embrassons, la discussion muette. Je cligne des yeux et tout devient blanc.

Je rouvre les paupières. Tout les événements qui se sont déroulés ces derniers jours n'ont duré que quelques secondes dans ma tête. C'est normal puisque ça n'existe pas. Du moins, pas encore. Julie se tient devant moi avec un petit sourire. J'avais presque oublié ce moment là. Sachant tout ce que j'ai prévu, je sais que son sourire est factice, mais elle reste plus belle que jamais. Je sais que si je me décide à l'aborder, ce que j'ai vu deviendra réalité. Je me détourne et sort par la porte, mais je tombe nez à nez avec Sophie. Il y a quand même certaines choses que je ne peux changer :
- Nous deux c'est fini !

Bon débarras, ce n'étais qu'une étape pour atteindre un objectif, de toute façon, je ne suis pas en mesure de la garder. Pas le temps. Je saisis les clefs de ma voiture dans ma poche et démarre. Arrivé à mon appartement, je saisis un marteau, débranche mon ordinateur et le fracasse en trois coups. Ensuite, je récupère l'argent liquide derrière mon placard, ainsi que mon baril d'essence et mon briquet. Je verse de l'essence un peu partout dans l'appartement. Je récupère ma carte d'identité et en mets dessus également. Paul est mort. Je connais un faussaire de génie qui m'en fera une nouvelle. Tandis que j'allume mon briquet, je repense à ce que j'ai vu dans ma à tête durant ces quelques secondes... Ça paraissait si réel. Peut être que, comme elle disait, je suis médium mais trop fier pour me l'avouer, ou bien que ces événements sont vraiment arrivés dans un autre espace temps. Je jette le briquet dans l'essence et descend les marchés deux par deux. Je préfère penser que j'étudie les signes discrets, les regards, et que j'en tire des conclusions. Mais, une fois qu'on enlève toutes ces questions, il reste une interrogation infiniment plus importante que les autres. L'Éternelle question du "Pourquoi ?"

Éternelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant