Portrait de restaurant #4

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L'homme était à ma droite, éloigné de quelques mètres. Attablé avec quelques amis, tous affalés sur leurs sièges, ils affichaient l'air affable que tout le monde portait ce soir-là au visage, résultat du soulagement de la fin de semaine de travail.

La première chose qui sautait aux yeux, et ce dès le premier regard, c'était son assurance. Jamais homme n'avait eu autant confiance en lui. D'ailleurs j'avais beau m'être habitué à cette manie qu'ont les italiens de parler bruyamment, celui-ci battait des records.

Il avait une chemise blanche grande ouverte sur son torse bronzé et musclé. Ses cheveux gominés tirés en arrière surmontaient une face aux traits anguleux. Il avait les yeux fins et sombres, un teint mat, mais c'était surtout son sourire qui donnait l'impression qu'il cherchait à charmer chaque personne qu'il croisait. Immensément ouvert sur des dents blanches et parfaitement alignées, ce sourire formaient des petites rides qui plissaient sa barbe de trois jours.

Jusque là, sans trop l'apprécier, je tolérais sa présence, remarquable et tonitruante. Mais je me rendis compte peu de temps après, que cet homme avait la perversité qui collait à son apparence.

Un pauvre type, essayant de vendre tant bien que mal ses quelques articles, et que j'avais rejeté quelques instants plus tôt, s'approcha de lui. Un éclair de méchanceté passa dans le regard du riche italien. Il avait trouvé l'occasion de s'amuser, et d'assurer un peu plus sa suprématie aux yeux de ses amis.

Il laissa s'approcher l'homme, lui demanda de lui montrer ce qu'il avait. Lui, profitant de la chaleur comme d'un argument de vente, lui tendit naïvement les éventails qu'il proposait. Alors toute la tablée s'amusa à comparer les différents modèles commentant avec des remarques moqueuses, qui traversaient largement la barrière de la langue, barrière qui m'avait empêché de suivre jusque-là la discussion.

Ils s'amusèrent encore avec le vendeur une dizaine de minutes. Et je crus à une hallucination quand je vis l'homme finir par sortir un gros billet. Un, deux, trois, quatre, cinq. Il avait acheté tout le stock. Cinq éventails pour trois hommes qui ne s'en serviraient jamais.

D'aucun aurait pu lire dans les yeux de cet ingrat : "Observe. Ce que tu souhaitais me vendre à l'unité j'en achète tout le stock. Vois comme je suis supérieur à toi."

Mais pas le vendeur. Non, lui n'aurait su dire ce qu'on pouvait lire dans les yeux de l'homme puisqu'il ne regardait que son argent. À quoi bon se morfondre d'un mauvais traitement alors qu'il avait écoulé en une transaction tout une soirée de quémande insistante aux tables des restaurants.

En le voyant repartir, son sourire aux lèvres, j'eus la certitude que sur la méchanceté gratuite et intellectuelle triompherait toujours l'imbécilité heureuse.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 06, 2017 ⏰

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