Sam

12 4 6
                                    

"Si ça intéresse je m'appelle Salim."

J'entendais sans écouter, les yeux rivés sur Samantha. Je clignai des yeux et me tournai vers le soi-disant Salim pour ne pas paraître insistante auprès de la fille qui m'avait tant titillée lors de mon épluchage de dossiers. Chacun se présenta à tour de rôle alors que mon esprit restait concentré sur elle. Je retins quelques noms du style : Anthony, Margot, Sophyan, Dylan...

"Et toi ? demanda le certain Sophyan."

La petite assemblée resta silencieuse, attendant ma réponse, alors que j'hésitais entre utiliser un pseudo ou utiliser mon vrai nom. La première solution me semblait être la meilleure.

"J-
-Emma !"

La voix de Raphaël retentit dans la rue avant que celui-ci ne soit fixé par la quasi totalité de mes nouveaux "amis". Il m'aperçut et me fit signe, un paquet de chips déjà vide en mains. Il s'approcha, intrigué par les inconnus autour de moi. C'est mort pour le pseudo.

"Voila, je m'appelle Emma. Et c'est mon frère.
-Raphaël, poursuivit-il. Vous êtes qui ?
-On faisait juste connaissance, répondit Sam, tout sourire."

Il me lança un regard interrogateur, semblant ne pas avoir remarqué la présence de la fille d'une de nos cibles.

"Qu'est-ce que vous faites ici ?
-On découvre les environs. On est nouveaux en ville, répondis-je du tac au tac.
-Vous allez venir dans ce lycée ?
-On prend des cours par correspondance. Je suis juste venue demander à un prof la possibilité d'avoir des cours particuliers."

Je ne laissai pas l'occasion à Raphaël de répondre, de peur qu'il ne divulgue des informations non adéquates avec les miennes. Malgré mes efforts pour qu'il ne parle pas, il s'empressa de dire :

"Vous nous ferez bien une petite visite du coin ? C'est toujours mieux en charmante compagnie."

Demande qui s'adressait évidemment à la gente féminine. Je soupirai. Mais pour une fois, il m'arrangeait en me permettant de me rapprocher de Sam pour lui soutirer des informations. Le groupe d'amis semblait être dirigé par le fameux Max qui, sa petite amie sous le bras, commença à nous guider sur les pavés entre les bâtiments.

Je décidai de faire le premier pas vers ma principale cible à présent. Je la cherchai du regard quand je la vis se rapprocher de moi en me fixant, toujours un adorable sourire sur les lèvres. Sourire que je lui rendis naturellement.

"Ça fait combien de temps que vous êtes là avec ton frère ?
-Quelques semaines seulement.
-Comment vous vous êtes retrouvés ici ?
-On est venus avec notre... tutrice. Elle a trouvé du boulot ici.
-Tutrice ? Pas... vos parents ?
-Mon père est mort quand j'étais petite. Ma mère est partie peu de temps après, on l'a jamais revue."

Mes propos semblaient sincères, la raison était que ce que je racontais était vrai. Un air triste se dessina sur son visage. Je haussai les épaules pour lui signifier que ça ne me dérangeait pas d'en parler. Elle m'adressa un sourire compatissant avant de changer de sujet.

"Vous connaissez des gens ici ?
-Non pas vraiment. Mais maintenant je vous connais vous. Plus ou moins.
-Ça me ferait plaisir d'être ta première connaissance ici. Peut-être même plus que connaissance."

Cette phrase procura une joie intense en moi, que je justifiai par ma satisfaction de mener à bien ma mission.

Nous poursuivions notre discussion en suivant le groupe où Raph parlait fort et faisait l'intéressant devant les filles. Seule Sam semblait désintéressée face à son comportement. Cette fille m'intriguait énormément. J'appris, suite à cette après-midi, qu'elle racontait que son père était soi-disant un simple pharmacien. J'ignorais si elle était au courant de son réel métier mais je n'en avais pas l'impression. Je sus également qu'elle vivait beaucoup avec sa mère et qu'elle se sentait beaucoup plus proche d'elle que de son père. Elle me raconta aussi son enfance dans sa famille très aisée. Étant fille unique, elle avait toujours rêvé d'un frère ou d'une sœur qu'elle n'avait jamais eu. Sa vie me paraissait passionnante malgré sa banalité. Je commençai à oublier que nous n'étions pas seules à discuter quand Max nous indiqua l'enseigne d'un bar où il voulait à tout prix se rendre.

Remplis de jeunes, rieurs et turbulents, l'établissement prit aussitôt un aspect bien plus chaleureux. Verre en mains, je continuai mes échanges avec ma nouvelle amie.

"Passe moi ton numéro pour qu'on garde contact.
-Euh... J-je..."

Devant mon désarroi, elle s'imagina sûrement que je ne voulais pas la revoir, ce qui gomma son sourire si bienveillant. Mes joues s'empourprèrent et je me repris en bafouillant :

"C'est pas que je veux pas ! Mais je... c'est juste q-que je n'ai pas de téléphone ...
-J'ai cru que... C'est dommage.
-Désolé hein.
-Non mais c'est pas ta faute !"

Nous nous regardions toutes gênées. Elle me jeta interrogateur qui devint culpabilisant lorsqu'elle aperçut la forme rectangulaire dans ma poche. Je m'empressai de lui dire :"C'est pas ce que tu crois !" Je sortis mon téléphone de la poche et entrepris d'enlever la coque et de le démonter. "Je l'utilise que pour prendre des photos. Regarde il y a pas de carte SIM !" J'indiquai l'absence du petit objet à l'emplacement lui étant réservé. Son visage se décrispa de soulagement.

Le garçon assis à ses côtés ne se gêna pas pour s'incruster dans notre conversation et me dire :

"C'est pas grave tu sais. Et puis la vieille Sam ne sait pas vraiment se servir du sien de toute façon, elle aurait mis une éternité à te répondre.
-Salim ! Arrête de dire ça à tout le monde, s'offusqua la concernée.
-Quoi ? C'est vrai non ? la railla-t-il.
-Au moins elle en a un. Il y a un début à tout.
-Elle en a un pour pouvoir donner son numéro à ses innombrables conquêtes !
-Mais tais-toi !"

Elle écrasa son talon sur son pied pour le faire taire. Très bonne technique. Elle soupira et prit une mine boudeuse, qui provoqua un rire idiot de ma part. Son ami se mit à rire avec moi. Elle nous imita, avouant sa défaite. J'appréciais de plus en plus la compagnie de ces lycéens.

Alors que la lune commençait à se montrer, le petit groupe de joyeux lurons se dispersa. Je saluai tout le monde, en particulier Sam, et entrainai Raph en direction de l'entrée des souterrains. Il se glissa dans la trappe cachée dans l'église pour se faufiler dans les couloirs étroits. Je le suivis sans un mot. En arrivant sur la place principale, il se tourna vers moi en souriant à pleines dents.

"Très bonne journée ! Tu as le mail de ce type et on se fait des potes ! C'était vraiment cool !
-Tu sais pourquoi j'ai décidé de traîner avec eux ?
-Bah parce qu'ils sont sympas ?
-Parce que parmi eux se trouvait la fille d'une de nos cible. Samantha Bettari.
-Sam est... Ah mais alors... Incroyable ! J'avais même pas remarqué !
-...
-Et du coup, c'est pour ça que tu as passé tout ton temps avec elle !"

Quel génie ! Sa gaminerie incessante m'agaçait mais c'était ce que j'appréciais chez lui. Je lui souris, le pris sous mon bras et passai ma main dans ses cheveux. Je sentis son regard sur moi alors que je partais vers notre chambre. Je me retournai et le vis, un sourire en coin, m'observer avec un regard que je ne parvenais pas à décrypter. Peut-être une sorte de complicité fraternelle que je ne connaissais pas.

"J'ai eu deux-trois numéros cet après-midi, ils me donneront peut-être celui de Sam.
-Si j'avais un téléphone, j'aurais déjà le sien.
-Sérieux, pourquoi t'en as pas ? C'est super utile pour les missions, la preuve.
-Mon oncle peut pas payer de forfait. On a pas tous des parents qui ont une maison pour pouvoir recevoir la facture. Et ça m'étonnerait que les adultes acceptent de dévoiler l'emplacement du réseau juste pour mon petit plaisir."

Les souterrains avaient une existence légale et étaient considérés comme une sorte d'entreprise, il me semblait. Pour avoir l'électricité, le réseau, internet, il fallait pouvoir recevoir des factures et les payer, il fallait exister. Mais certaines compagnies téléphoniques ne considéraient pas vraiment le réseau comme existant, il fallait avoir un domicile fixe avec une vraie adresse, hors il existe plus d'une entrée pour accéder aux tunnels.

Raph me regardait, amusé, et marchait à mes côtés en me racontant comment il comptait s'emparer du cœur de Sam. Son monologue me fit ressentir une pointe de jalousie, je voulais me rapprocher d'elle avant lui pour pouvoir réussir la mission sans l'avoir dans mes pattes.

SubfoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant