La boulette

24 5 37
                                    

     Mes yeux restaient bloqués sur les cheveux gras du garçon. Des milliards de mots inintéressants sortaient de sa bouche à une vitesse hallucinante. Sa voix haut perchée me faisait grincer des dents. Je cherchais une excuse pour m'extirper de la conversation passionnante que m'avait imposée Thomas. Je mourrais d'envie de courir vers la sortie. Je sortis mon téléphone inutile et le fis vibrer à plusieurs reprises pour simuler un appel.

"Excuse-moi, je dois répondre, c'est sûrement pour ma mission.
-Aucun problème, je vais aller voir Tim. S'il n'est pas avec ton frère."

     Son air triste m'aurait presque fait pitié. Je m'éloignai en faisant mine de décrocher. "Allô, Ophélia c'est toi ?
-Euh, Emma ?"

     Je sursautai en entendant cette voix que je n'aurais voulu entendre pour rien au monde. Ma responsable de mission se trouvait debout derrière, une mine songeuse collée sur son visage. Derrière elle, mon récent interlocuteur barbant s'éloignait, dépité.
Je regrettai immédiatement de l'avoir lâcher sans scrupules et me hâtai d'aller lui présenter mes excuses quand la main d'Ophélia attrapa brusquement mon bras pour me traîner dans sa chambre devenue son bureau temporaire. Ses compagnons de chambre, Fred et Maria, s'enlaçaient sans pudeur, avec quelques vêtements en moins, sous le regard méprisant et honteux de la troisième colocataire. "Excusez-moi de vous déranger, mais est-ce que vous pourriez faire ça ailleurs ?" Les amoureux se désenvoutèrent et nous regardèrent béatement.

"Désolé Ophé, on savait pas que tu étais avec la petite.
-Si vous regardiez autre chose que votre âme sœur quelques fois, vous remarqueriez beaucoup plus de détails qui peuvent être utiles.
-Tu sais, c'est notre chambre à la base. Et t'es pas censée emmener les gosses ici.
-Si on était arrivés quelques minutes plus tard, vous seriez déjà nus."

Cette discussion prenait une drôle de tournure. Mes joues s'empourprèrent involontairement. Les voix s'élevèrent et une dispute éclata. D'un côté, un couple tout mignon et amoureux qui se faisait des papouilles et de l'autre, ma responsable de mission, enragée, prête à sortir les griffes. Je me devais d'intervenir.

"Viens par là, dis-je en tirant Ophélia dans le couloir.
-Quels sans gênes ceux-là !
-Bon, qu'est-ce que tu voulais me dire ?
-Ah oui, Rapha m'a dit que tu voulais un téléphone portable pour le bien de la mission.
-Oh hum, c'est pas vraiment ce que j'ai dit... c'est juste que quand Sam m'a demandé mon numéro, j'ai pas pu lui donner.
-Sam ?

La boulette.

-Quoi ?
-Ne fais pas comme si tu savais pas, quelle Sam ?
-Euh... une fille.
-Sérieusement.
-Une fille qu'on a rencontré en ville. Près du lycée. On a pensé que notre couverture passerait mieux si on s'intégrait et qu'on avait des amis de notre âge.
-T'es devenue amie avec la fille du dealer.
-C-comment t'as deviné ?
-On en avait parlé ! C'est une très mauvaise idée, tu n'es pas prête !
-Mais on est déjà amies.
-Woaw. Tu vas vite toi. T'es sûre que tu t'emballes pas ?
-Non je te promets ! Maintenant que j'ai commencé, autant continuer non ?
-Je vais en parler à ton oncle."

Elle sortit son téléphone. L'appel ne dura que quelques minutes mais ce temps passa si lentement que je crus un instant que le temps s'était arrêté. Lorsqu'elle appuya sur le téléphone rouge, elle laissa durer le suspens. Son visage ne laissait paraître aucune émotion, aucun indice ne pouvait m'aider à deviner la réponse avant le verdict final. Sa bouche s'entrouvrit lentement.

"Il va en parler aux supérieurs.
-Tout ça pour ça, franchement ?
-Mais il y a des bonnes chances pour que tu puisses continuer."

Je lui sautai au coup pour la serrer le plus fort possible. N'appréciant que très peu les marques d'affection, elle tapota mon dos doucement. Je poussai un cri de joie venant du cœur. Soudain, je me souvins d'un problème que je devais régler au plus vite. Je me précipitai dans les couloirs et courus jusqu'à tomber nez-à-nez avec le duo que j'espérais rencontrer. Pour une fois que Thomas ne parlait pas sans interruption aux côtés de Tim, je profitai du moment pour planter mon regard dans ses yeux de chien battu.

"Hey ! Je voulais m'excuser pour tout à l'heure, d'être partie comme ça et de euh... enfin tu vois quoi.
-De quoi tu parles ?
-Bah de la manière dont je suis partie quand on discutait.
-Ah mais c'est pas grave, c'est ton travail.
-Pourquoi tu es comme ça ? Tu es presque au bord de la dépression.
-N'exagérons pas, je suis comme ça parce que... je suis jaloux.
-De ?
-De votre mission, à toi et Raphaël. Moi aussi j'aimerais en avoir une.

Je me suis raconté des histoires toute seule.

-Tu en auras une au moment venu, ne t'inquiète pas.
-J'espère que ce sera avec toi, il paraît que tu as assuré.
-Pas vraiment, j'ai fait de l'improvisation totale."

Et l'incessant bavard reprit son habitude de discuter joyeusement tout seul. Tim ne pouvait plus placer un seul mot, quand à moi, j'écoutais sagement. Je ne voulais plus lui faire de peine. Même si je n'avais pas été la cause de son désespoir.

.....
Le soir même, Raphaël continuait d'envoyer des messages sur son téléphone, comme il l'avait fait tout l'après-midi. Il m'avait laissé aller seule en ville, à la merci de tout les voyous armés jusqu'aux dents. Il savait que je pouvais en maîtriser un ou deux avec facilité mais tout un gang aurait été impossible.

Je faisais donc mine de bouder dans mon lit mais ce comportement ne faisait ni chaud ni froid à mon collègue qui ne décollait pas son visage de l'écran. Je lisais un livre sur des enfants espions quand Rapha bougea enfin pour me regarder avec étonnement. Il me tendit son engin. "Sam veut te parler." J'attrapai l'appareil et observai la conversation vide. Sam avait seulement demander à mon "frère" de me passer son portable.

Emma : Hey c'est Emma.

Sam : Salut ;)

Emma : tu voulais pas parler à mon frère ?

Sam : Il est moins intéressant que toi.

Emma : Je ne savais pas que je te faisais autant d'effet.

Sam : Tu sais peu de choses sur moi.

Emma : Raconte moi tout. Par contre ça fera 50€ de l'heure.

Sam : XD je vais tout vous avouer docteur.

La discussion se lança sur ma blague nulle. J'appris des tas de choses inutiles à son propos comme sa couleur préférée, le jaune, que son chat s'appelait Edward, qu'elle aimait jouer aux échecs parfois et qu'elle adorait la pizza, comme tout bon adolescent qui se respecte.

Mais dans la conversation, elle évoqua son envie d'organiser une fête chez elle et son idée de m'inviter pour m'intégrer. Un feu de joie naquit ainsi en moi. Feu qui grandit en brasier lorsqu'elle me demanda si je voulais la rejoindre avec ses amis le lendemain à la fête foraine. Cette proposition me fit faire la danse de la victoire constituée de gestes bien ridicules mais idéals pour exprimer son bonheur. Et rien n'empêcha mon colocataire de me rejoindre dans cette célébration idiote.

"Pourquoi on danse ?
-Demain, on va à la fête foraine,
-Trop génial ! Pourquoi on y va ?
-Pour y voir nos nouveaux amis.
-Trop génial !"

Il accompagna la chorégraphie de petits "Oh yeah !" très gênants.
Ça part trop loin. Je me rallongeai et tapai un dernier message à Sam.

Emma : Bon je dois aller dormir, bonne nuit, on se voit demain !

Sam : Fais de beaux rêves, hâte d'être à demain.

"J'ai hâte d'être à demain, m'avoua Rapha." Les mots utilisés par mon partenaire identiques à ceux utilisés par notre cible m'étonnèrent sur le coup. Sur cette phrase, il ferma les yeux, un sourire satisfait sur les lèvres.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Aug 31, 2017 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

SubfoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant