PREMIER CHAPITRE

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Note de l'auteur avant : Pour des raisons évidentes, mon éditrice vient de me demander d'enlever la première version. Alors à moins qu'il y ait un bug, vous n'y avait plus accès. Toutefois je suis autorisée à publier les trois premiers chapitres pour que vous puissiez vous faire une idée des modifications ou de l'histoire en elle-même. Voilà, bisouille !

♦♦♦

En tant que fille trop souvent larguée, je pouvais détecter les cœurs brisés à des kilomètres à la ronde. Que voulez‑vous ? Question d'expérience, sans doute. Et la demoiselle scotchée à mon comptoir depuis plus d'une demi‑heure trahissait tous les signes d'une rupture. Étant donné que j'étais passée par ce stade de dépression une dizaine de fois – sans exagérer –, j'avais une idée assez précise des pensées qui se bousculaient dans sa petite tête.

Je balançai la lavette avec laquelle je venais de nettoyer une tache de bière séchée et m'approchai de la jeune fille. Elle devait être un peu plus jeune que mes apprenties : dix‑huit ou dix‑neuf ans à peine. Perdue dans ses réflexions, elle ne me vit pas arriver. Le bout de l'une de ses longues mèches noires tombait dans son verre. Je l'écartai d'un revers de main, attirant son attention.

— Mauvaise soirée ?

Elle haussa les épaules sans daigner me répondre.

— Tu devrais éviter l'alcool, continuai‑je, surtout si tu es venue seule.

Le verre posé devant elle ne venait pas de moi. Depuis que je bossais derrière ce comptoir, je n'avais jamais servi quelqu'un de moins de vingt et un ans. Apparemment, mes apprenties se laissaient plus facilement amadouer.

La demoiselle posa sur moi de grands yeux aux iris d'un noir profond.

— Pardon, vous me parliez ?

Ses doigts tapotaient distraitement son verre. Une vodka aromatisée à la pomme. D'un mouvement du menton, je lui montrai la boisson.

— L'alcool ne règle pas les problèmes. Crois‑en une inconnue de vingt‑cinq ans qui passe son temps à en servir.

Je lui versai un jus d'orange multivitaminé dans un verre propre et le lui tendis.

— Tiens, cadeau de la maison : c'est bien meilleur, je te jure.

Puis je me saisis de sa vodka et la vidai dans l'évier. La fille fronça ses délicats sourcils sombres, la bouche arrondie de surprise.

— Votre job est de me servir, pas de voler mes consommations, me fit‑elle remarquer.

Un point pour la mignonne petite Hispanique. Son visage inspirait la sympathie : elle appartenait à la catégorie des filles que l'on appréciait avant même de les connaître.

— C'est vrai, mais mon rôle de citoyenne modèle est de te garder en vie, mon ange. Et aussi de t'éviter des problèmes, étant donné que tu n'as pas encore vingt et un ans.

Elle poussa un soupir.

— Vous passez votre temps à faire la morale aux jeunes qui passent dans le coin ? On ne doit pas vous apprécier des masses.

Je pris une grande inspiration, essayant de garder une mine impassible.

— Faux, on m'aime beaucoup, répondis‑je en replaçant mes mèches blondes derrière mes oreilles. Demande autour de toi si tu ne me crois pas.

Plus bas, j'ajoutai :

— Enfin, sauf au type là‑bas, je viens de refuser de lui servir une quatorzième bière. Lui doit être de ton avis.

Sang à Crocs (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant