VII. Luna

22 1 0
                                    

Simon avait toujours aimé les chats. Ils s'entendaient bien. Très bien même. Les animaux sentent ce genre de choses. Il y avait comme une sorte de connexion entre eux. Mais avec le chat de Madame Ravel, c'était encore plus flagrant. C'était un très beau chat au pelage d'un gris des plus charmants. Le ventre, le museau, ainsi que la pointe des oreilles étaient blancs, mais le plus fascinant restait, bien évidemment, ses yeux. Vert émeraude, deux splendides joyaux sortis de leurs écrins.
Un jour, alors que Simon était venu prendre le thé chez elle, l'animal était entré dans la pièce, avait sauté sur le canapé où il était assis et s'était installé bien confortablement sur la tête du fauteil, au-dessus de la tête du jeune homme. Madame Ravel s'était alors étonnée. D'habitude, son chat ne faisait pas cela. Encore moins avec un inconnu. Les jours passèrent. Chaque fois que Simon rendait visite à la vieille dame, son chat n'était jamais bien loin. Il lui faisait la fête, lui tournait autour, le suivait partout dans les différentes pièces de la maison. Lorsque Simon l'appelait, il accourait aussitôt. Il lui obéissait au doigt et à l'oeil. Madame Ravel trouvait ce spectacle des plus amusants.
Alors qu'il se roulait dans l'herbe en plein soleil, Simon remarqua en le caressant une tache grise en forme de lune sur le ventre du félin. Sa maîtresse lui expliqua qu'il s'agissait d'une sorte de tâche de naissance, et que c'était entre autres pour cela que le chat s'appelait Luna. En effet, cela tombait sous le sens.

Par une belle fin d'après-midi, Simon se rendit à la boulangerie du quartier après l'école. Sur le chemin du retour, il heurta une passante, trop occupé à déballer son sac de confiseries. Elle tomba violamment sur le derrière, ce qui lui arracha un cri de douleur. Simon, qui n'était pas quelqu'un de mauvais et de particulièrement maladroit, l'aida aussitôt à se relever tout en s'excusant, visiblement boulversé par ce qu'il venait d'arriver. La jeune fille le rassura en lui disant que ce n'était rien, que cela arrivait et qu'elle allait probablement avoir un gros bleu en se réveillant le lendemain matin. Ils rirent ensemble, un peu gênés. Simon constata qu'elle était jolie. Elle devait avoir un peu près son âge. Et ses yeux verts étaient d'une beauté incontestable.

Simon s'en voulut. Avec toutes ses émotions, il ne lui avait même pas demandé son nom. Il se maudit pendant trois jours, avant de passer à autre chose. Heureusement, Luna était là. Il remarqua qu'elle boitillait un peu, mais n'était pas malade pour autant. Simon était assis dans son fameux fauteuil lorsque Luna, après avoir grimpée à son endroit habituel, lui lécha la nuque, ce qui fit rire Madame Ravel.

- Décidemment, mon cher Simon. Je crois qu'elle t'aime vraiment beaucoup.

- Et c'est réciproque.

A ces mots, il lui sembla qu'une petite flamme s'était allumée dans son regard vert, et que si il avait été à l'intérieur, il s'y serait noyé.

Suivant les croyances, on reconte que les chats ont 7, voir même 9 vies. Combien Luna en avait-elle déjà vécues, si cela s'avérait vrai ? On a tous déjà vu un chat deux fois à deux endroits différents, non ?
Vous vous posez certainement la même question depuis un petit bout de temps. Mais si Simon aime tant les chats, pourquoi est-ce qu'il n'en a pas un à lui ? Et bien, ce n'était, à vrai dire, pas aussi simple que cela. En effet, la mère de notre jeune ami n'aimait pas les chats. Pas qu'elle les trouvait laids, non, mais parce que les chats sont des chasseurs : tous les oiseaux y passaient. De plus, elle trouvait qu'il y en avait déjà plus qu'assez dans le quartier où ils habitaient. Simon était donc fixé : s'il voulait un de ces animaux, il faudra qu'il attende d'avoir son propre logement. Et ça, ce n'était pas pour tout de suite. Tout compte fait, cela lui permettait de rendre visite à Madame Ravel et de lui tenir compagnie. Son mari était mort depuis des années, emporté par la maladie. Il occupait ainsi une partie de son temps, et aucun d'eux ne s'en plaignait.
Mais toute les bonnes choses ont une fin. Le père de Simon décrocha un poste important dans la ville voisine, ce qui était une véritable opportunité pour la famille et son épanouissement personnel. Ils décidèrent d'attendre la fin de l'année scolaire pour Simon, car cela n'est jamais drôle de tout quitter en cours d'année. Il n'y a rien de tel qu'un départ précipité pour détériorer une relation parents-enfant. Simon fut assez partager en apprenant la nouvelle. D'un côté, il n'avait pas peur de l'inconnu et se réjouissait à l'idée de vivre dans une grande ville. Mais de l'autre, il pensait à tout ce qu'il devait quitter, le moment venu.
Et il songeait surtout à Madame Ravel et à son chat Luna.

Le jour J finit par arriver. Ils partiraient tôt dans la matinée. La veille au soir, Simon se rendit une dernière fois chez la vieille femme. Ils prirent le thé ensemble, comme si rien n'avait et ne changerait jamais. Simon remarqua que Luna était très distante avec lui. C'était comme si, de son point de vue de chat, elle comprenait qu'il allait la quitter. Partir loin d'elle. Le coeur de Simon de serra.

- Tu vas nous manquer, Simon. A toutes les deux.

Simon lui répondit qu'il en était de même pour lui, et leur promit qu'il leur rendrait visite le week-end. La vieille dame hôcha pensivement la tête, un sourire aux lèvres.
L'un comme l'autre ignoraient de quoi serait fait demain.

Ce matin là, il pleuvait. C'était comme si les nuages pleuraient sur le village. Pendant que ses parents chargeaient les bagages dans la voiture, Simon courut jusque chez Madame Ravel. Mais au moment de sonner, il s'arrêta. Il resta un moment devant le porche, sans bouger. La pluie lui tombait dessus, mouillait ses cheveux. Il s'en retourna en soupirant, l'âme en peine. La voiture démarra. Simon regarda une dernière fois dans la vitre arrière du véhicule. Alors qu'ils s'éloignaient, il vit une forme sombre sortir d'un buisson et se retrouver sur le trottoire. Luna s'arrêta et regarda la voiture s'éloigner. Les chats n'aiment pas l'eau.
Mais ils aiment encore moins les adieux.

Sa nouvelle vie avait finalement bien commencé. Madame Ravel disait toujours que tout commencement était difficile. Elle avait sans doute raison. Les anciens savent ce genre de choses. C'est ce qu'on appelle la sagesse.
En retournant un jour dans son village natal, on lui apprit que la vieille femme était décédée. Elle s'était endormie pour ne plus jamais se réveiller. Simon pleura beaucoup, elle avait été comme la grand-mère qu'il n'avait jamais eu. Il demanda ce qu'il était advenu de Luna, son chat. Aucun autre être vivant n'avait été retrouvé dans le petit appartement. Elle avait dû s'enfuir. Et peut-être s'était-elle perdue. Ou était-elle morte, écrasée par une voiture. Mais Simon n'écoutait plus. Au fond de lui, il savait.
Les chats retrouvent toujours le chemin de la maison.

Les jours passèrent. Simon était très occupé par sa nouvelle école, et Luna lui était tout simplement sortie de la tête.
Alors qu'il rentrait de son cours de droit, il croisa une jeune fille dont le visage lui rappelait vaguement quelque chose. En levant les yeux, elle remarqua qu'il la regardait avec un air ébahi.

- On... on ne se serait pas déjà vu quelque part ? bafouilla-t-il.

Elle réfléchit un instant.

- Oh mais oui, tu es le garçon qui m'est rentré dedans en sortant de la boulangerie. Quelle surprise !

Elle était encore plus belle que dans ses souvenirs. Et ses yeux... Incroyable.

- La dernière fois, je ne t'ai pas demander comment tu t'appelais.

- Moi non plus, avoua-t-elle en chassant une mèche couleur miel de devant ses yeux.

Il lui donna son nom. Elle lui donna le sien.

Elle s'appelait Luna.

PsychoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant