Jean-Luc avait envie de casser quelque chose. Il n'avait envie de voir personne, alors se retrouver à un putain de meeting avec des putains de gens qu'il ne connaissait et n'appréciait pas, encore moins.
Il voulait rester chez lui, seul, à déprimer en pensant à Marine. Alors il ne ferait pas d'efforts. Il ne s'était pas fait beau gosse, avait mis un vulgaire pantalon en toile avec un tee-shirt rouge, et n'avait pas fait l'effort de mettre des lentilles. Il portait donc des lunettes à double foyer qui lui faisaient des yeux globuleux. Tant pis pour ses admiratrices. De toute façon, la seule femme qu'il voulait n'était pas là, et avec elle, rien ne serait jamais possible. Et tout était de sa faute.*
Jean-Luc fendait la foule sans la voir. Il n'entendait plus les acclamations, habitué comme il était. La seule voix qu'il aurait aimé écouter était celle de Marine. Et encore une fois, elle n'était plus là. Elle ne le serait plus jamais.Ses fans étaient en délire. Ils scandaient son nom, l'applaudissaient pour la réussite de ce meeting. Ils avaient auparavant copieusement hué le nom de Macron, puis celui de Le Pen. Jean-Luc avait senti son coeur se serrer. Elle était détestée de tout son clan. Mais pas de lui. Lui aurait volontiers mis de côté leurs différences politiques pour être avec elle. Mais il ne pouvait pas. L'engagement n'était pas pour lui. Son passé était trop lourd, et il ne l'infligerait pas à Marine. Il devrait se contenter de conquêtes insipides, de femmes toutes pareilles, sans relief, sans saveur, parfois même sans blondeur. Des clones. Nique les clones, pensait-il autrefois. C'était désormais ce qu'il ferait, au sens propre du terme. Il niquerait des clones. Il oublierait Marine de cette façon. Il fallait seulement qu'il se souvienne de la joie qu'il éprouvait à être le rêve de toutes les femmes. Ce ne serait pas un jeu lassant. Ce serait une thérapie. Pas des relations qui ne le mènerait nulle part, des relations qui le mèneraient à la guérison.
Fier de ses bonnes résolutions, Mélanchon s'extirpa de la foule, et partit en direction de la salle des fêtes qui accueillerait le pot d'après meeting. Arrivé là-bas, il envisagea du regard la foule devant lui. Il s'y trouverait bien une femme pour la nuit.
Il ne fallut que quelques minutes pour que la fête batte son plein. Pourtant, Jean-Luc se sentait extraordinairement seul. Il avait essayé de séduire une fille ou deux, sans vraiment le vouloir, puis avait laissé tomber quand elles avaient voulu se la jouer difficiles. Il avait la flemme de faire des efforts, et n'était pas venu pour cela, à l'origine. Draguer sans ses chaussettes burgers porte-bonheur lui semblait insurmontable.
Alors qu'il s'apprêtait à se resservir de jus de goyave, une voix l'interpella, bientôt reprise par l'ensemble des participants de l'after work. On lui demandait de prendre une photo avec Martine Aubry. Celle-ci, devenue, depuis l'échec cuisant du PS, membre de la France Insoumise, avait en effet participé au meeting.
Mélenchon sentit son sang se glacer à l'entente de cette demande. Une photo avec Martine? Non. Non, il ne le ferait pas. Mais quelle image rendrait-il de son parti? Ils devaient montrer un dehors uni, cacher à tout prix les conflits internes, les querelles personnelles. Quel choix avait-il? Mais Martine était Martine. Martine lui avait fait du mal. Elle était mauvaise. Elle était vicieuse. Elle était fourbe. Elle l'avait détruit. Martine était la cause de sa rupture avec Marine. Martine ruinait sa vie, encore des années après. Elle cachait son jeu, mais Jean-Luc savait quel serpent se cachait sous ces dehors affables de défenseuse de la veuve et de l'orphelin. Il l'avait appris ze hard way.
Mais il s'agissait de son parti. Et refuser une photo de permettrait pas de revenir en arrière. Il n'en sortirait pas magiquement reconstruit, et ne récupérerait pas Marine. Alors il accepta, se mit à côté de Martine et força un sourire sur ses lèvres fines. Il sentait son parfum chatouiller ses narines, et se retenait de vomir. Cette soudaine proximité avec une femme qu'il abhorrait le rendait nerveux, et il n'attendait que de pouvoir s'enfuir en courant.
Quand enfin la photo fut prise, il s'écarta de Martine comme si elle était la mort en personne et, trouvant une excuse bidon, il s'en alla, une boule encore présente dans le creux de son estomac. Pas de raclette ce soir.*
Mélenchon se laissait dépérir. Il ne voulait plus coucher à tout va, mais ne voulait pas non plus recontacter Marine, de peur de lui faire du mal. Il passait donc ses journées chez lui, à rattraper son retard sur la Villa des coeurs brisés. Natalie aurait pu être son style, si elle avait été blonde. Il aimait regarder des jeunes gens se démener pour trouver l'amour. Il s'identifiait beaucoup à Steven, le playboy craintif de l'engagement. Peut-être aurait-il dû demander Marine en mariage directement? Ou peut-être fallait-il qu'il écrive Martine Aubry sur une pierre et qu'il la jette à la mer pour être débarrassé de son passé? Ou peut-être former les lettres M et A en fromage à raclette, puis les manger pour les faire disparaître à tout jamais? Non, ce ne serait pas suffisant. Il n'aimait pas assez Marine pour gâcher du fromage à raclette. Elle avait qu'à refaire sa vie, être heureuse avec un autre. Oui, elle était là la solution. Il fallait que Marine se trouve un autre homme. Il fallait que Jean-Luc le voit. Il l'accepterait et comprendrait.
*
Jean-Luc ne comprenait pas. Il avait les yeux fixés sur un tweet de Gilbert Collard, et essayait tant bien que mal d'assimiler les mots qu'il lisait.
"Avec @marinelpdufnoff . Des rapprochements prévus les loulous. #jendispasplus #lovedansleparti ."
Non, décidément, ça ne montait pas au cerveau.
"Marine? Ma Marine avec Gilbert Collard?" Pensait-il.
C'était impossible. Elle ne pouvait pas l'avoir oublié si facilement. Pas alors qu'à peine quelques semaines auparavant, ils se trouvaient en haut de la grande roue à Châteauroux.
Jean-Luc se sentit submergé par la jalousie. Marine était à lui. Elle ne serait plus jamais à personne d'autre, pas tant qu'il serait en vie. Certainement pas à Gilbert Collard, ce guignol du FN. Tant pis pour ses peurs, il s'engagerait s'il le fallait. Il ne laisserait pas Martine l'entraver.
Alors, ouvrant les pages jaunes et les pages blanches simultanément, Jean-Luc chercha l'adresse de son rival où il savait qu'il trouverait sa dulcinée, prêt à le provoquer en duel si Marine le demandait. Une fois l'adresse notée, il sauta dans sa mini Cooper bleu turquoise, et mit les gaz. Il ne laisserait pas Marine lui filer sous le nez.
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L'amour les a sauvés
HumorMarine est triste. Elle n'a plus de mari, plus de travail, et plus de perspectives d'avenir. Jusqu'à ce qu'elle rencontre Jean-Luc... Jean-Luc ne trouve plus de sens à sa vie. Alors il écume les boîtes de nuit, enchaîne les verres et les coups d'un...