Dans un autre monde... [Solavellan]

Chapitre 6 partie 3

Tentant de calmer les battements de mon cœur, je commençai à, doucement, respirer. Je m'habituais lentement à l'odeur de morts en décomposition environnante. Seulement, quand j'ouvris les yeux, et me relevai, je me rendis compte que c'était à juste titre : le sol était jonché de cadavres ; et tout semblait n'être que mort et désolation. Tout ceux que je voyais au sol avaient le visage déformé par la peur. Aucun n'affichait d'expression sereine, pas même quelque chose de rassurant dans la mort. Juste de l'effroi, ni plus ni moins. Plus effrayant encore, ceux dont le visage était encore plus ou moins reconnaissable étaient des elfes. Des elfes dalatiens. De mon clan, de surcroît.

-N'est-ce pas ce que tu voulais..? Murmura une voix.

C'était une voix féminine : elle remplissait l'espace, résonnait en tout endroits ; et le réconfort qu'elle procurait n'était pas moindre. Je reconnaissais cette voix.

-...Asha, c'est toi ? Tentais-je, apeurée.

Soudainement, je sentis une main, sur mon épaule, puis une deuxième sur ma hanche. J'étais incapable de bouger, mais je savais parfaitement que quelqu'un se tenait derrière-moi.

-Oui, Lin...je suis là. A tes côtés, à nouveau. Répondit-elle, en me serrant doucement contre elle.

Ses mains glissaient à ma taille pour me tenir contre son corps, alors que la jeune femme posa doucement sa tête dans mon dos, comme pour prouver son affection. Un doux parfum fleuri vint à mes narines, et faisait lentement disparaître l'odeur putride des cadavres, me faisant presque oublier leur présence.

-Je suis de retour pour toi...Alors,  tout est comme tu l'avait rêvé, n'est-ce pas ? Susurra Asha.

Je fronçai les sourcils, puis bégayai :

-N-..non...

-Mort et désolation...Continua la jeune elfe. Et tout ça, toute les deux...ensemble.

Quelque chose n'allait pas...non, impossible. Asha n'aurait jamais dit ça. Elle qui était si douce, si gentille. Pourtant, j'avais beau me dire que ça ne pouvait pas être elle, cette voix, ce parfum, ces gestes si consciencieux, mettaient mon mental à mal : personne ne pouvait égaler cette délicatesse. Alors pourquoi sa parole est-elle si différente de ses gestes ?

J'étais à deux doigts de lâcher prise, de me laisser tomber à des mains si graciles...Seulement, le doute revint en moi à une vitesse folle, quand elle se pencha à mon oreille, pour ajouter quelques derniers mots.

-Ils brûleront tous. Il n'en restera plus rien, tu n'es pas d'accord ?

-NON !!! Hurlais-je.

Dans un élan d'une panique nouvelle, je fis volte-face et repoussai la jeune femme. Son visage...c'était bien elle. Ses longs cheveux bruns, raides, voletaient en tout sens sans s'emmêler le moins du monde, alors que son visage un peu rond, ses grands yeux, d'une couleur ambre orangée totalement inhabituelle, me fixaient, et perçaient jusqu'aux tréfonds de mon âme. Ses lèvres pulpeuses, mais néanmoins doucereuses, son nez doux, et ses sourcils fins...tout inspirait la pureté, la beauté et l'innocence dans ce regard, alors que les vallaslin dorées de Ghilan'nain plaquées à son visage ne faisaient qu'affiner tout ce que je pouvais déjà voir ; et que le corps gracile de l'elfe se balançait doucement, gracieusement. Pourquoi ? Pourquoi elle, pourquoi maintenant ?

-Tu ne disais pas vouloir qu'ils brûlent tous ? Qu'ils meurent dans d'atroces souffrances ? Qu'ils nous craignent ? Demanda celle-ci en s'approchant.

-Et depuis quand tu es d'accord avec moi ?! Hurlais-je en reculant. Tu voulais la paix !!

-Ils m'ont tuée, Lin. Tu ne veux pas me venger ? Tu es égoïste à ce point ? Siffla Asha d'une voix cinglante.

-C'est pas ce que t'aurais voulu, tu le disais toi-même ! Lançais-je. Je...je...

Soudainement, alors que je tentai de m'écarter le plus possible de la jeune femme, qui ne pouvait être qu'un démon, à n'en pas douter ; je trébuchai sur un cadavre et tombai. M'étalant lourdement sur la chair des défunts, je recommençai, aussitôt que je le pus, à reculer, malgré les chairs moites en-dessous de moi. J'étais au sol, bien moins rapide ; et Asha gagnait du terrain. Toujours plus. Son visage changeait. Il n'était plus qu'une masse grotesque, et sa voix, si douce en temps normal, crissait à présent à mes oreilles. Le doux parfum fleuri n'était plus, et l'odeur pestilentielle des cadavres était à nouveau omniprésente.

-OUAAH !!

Je poussai un long cri, et me levai subitement : l'atroce senteur avait laissé place à la douce brise du matin, et le paysage morbide à celui de ma chambre, à Fort-Céleste. J'étais de retour du monde des rêves.