Coeur à prendre

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Sur le chemin, maman me prend à part :

— Tu sais, ma chérie, dans un camping, c'est l'occasion pour les jeunes de faire des rencontres et de se faire des amis. Ils font des activités pour rencontrer d'autres jeunes et ensuite ils font d'autres trucs ensemble. Et des couples se créent aussi...

— Maman ! Tu veux me caser ou quoi ?! Parce que si c'est le cas, tu perds ton temps, je ne suis pas là pour ça, je veux juste décompresser.

— Et bien justement, c'est le moment... Et puis tu pourrais sourire un peu !

Une fois à la piscine, tartinée de crème solaire, je m'allonge sur un transat et ne bouge plus. Je regarde les gens qui passent en réfléchissant à ce que maman m'a dit. C'est vrai qu'il y a plein de beaux garçons ici, mais je me répète que je ne suis pas venue pour ça, même si au fond de moi je sais que c'est ce que je suis venue chercher.

Au bout d'une vingtaine de minutes, le fait de rester allonger à ne rien faire me lasse et me fait perdre patience. Je préviens donc maman que je quitte la piscine et que je vais me balader. Elle me répond par un hochement de tête et un « treize heures devant l'entrée de la piscine » avant de se replonger dans son magazine. Je m'éloigne donc et sors de cet endroit où le soleil tape trop fort pour me diriger vers le campement. Seulement à peine ai-je fait quelques pas devant la terrasse du restaurant que quelque chose attire mon attention. Ou plutôt quelqu'un. Sur un banc, à quelques mètres de moi, un jeune homme tient un crayon et un carnet à la main. Il semble dessiner. Deux jeunes enfants sont assis à ses côtés, l'écoutant attentivement. Il leur explique certainement quelque chose, mais d'où je suis, je ne les entends pas.

Comme ils ne m'ont pas encore vue, j'entreprends de faire demi-tour vers l'entrée de la piscine et fais semblant d'attendre quelqu'un. Alors que je m'appuie contre un mur à côté du banc, une femme s'approche, appelle les deux garçons qui s'empressent de la rejoindre, et s'éloigne ensuite avec ses deux enfants sous le bras. L'autre les regarde partir, puis il reprend ce qu'il faisait. Ce garçon me trouble et je ne sais pourquoi. Serait-ce à cause de son air à la fois sérieux et mystérieux? Cette impression qu'il peut être aussi doux et sensible qu'autoritaire et viril? Peut-être. En tout cas, je reste adossée au mur, tendue. Je ne sais absolument pas quoi faire et reste plantée là à le fixer. Ses cheveux noirs de jais ondulent sous la légère brise salée qui passe et je peux lire une extrême concentration dans ses yeux couleur chocolat noir. Je fais quelques pas vers lui, toujours collée à mon mur. Je peux alors voir ce qu'il fait de plus près. De ses mains habiles, il trace des traits fins et précis sur sa feuille. Le fait qu'il lève régulièrement la tête vers l'arbre en pot devant lui me confirme qu'il s'exerce au dessin.

Soudain, j'ai un regain d'énergie. Je ne veux pas laisser passer ma chance. Je veux vraiment l'aborder, et je viens de trouver comment. J'ai peur mais je me dis que c'est maintenant ou jamais. Je marche donc vers lui, m'efforçant d'avoir l'air naturelle. Mais plus j'avance, plus ma peur grandit. Et plus elle grandit, plus je me dis que ce que je m'apprête a dire pour engager la conversation est complètement nul. Trop tard, je suis à côté de lui et il m'a vue, je ne peux plus reculer. D'ailleurs, il y a quelque chose d'étrange dans la façon dont il vient de me regarder. Je remonte mes lunettes de soleil sur le haut de ma tête, ramenant mes cheveux en arrière, et c'est là que je comprends. Je suis en short et haut de maillot de bain. Je n'ai pas remis mon T-shirt. Bon, tant pis. Je me lance tout de même :

— Salut ! Pardon de te déranger, mais je te vois dessiner depuis tout à l'heure et je me demandais quel était ton modèle... je peux voir ?

A ma grande surprise ma voix n'a pas tremblé et j'ai réussi à prendre un air détaché. Sa réaction est elle aussi plus positive que ce à quoi je me suis attendue. Il n'a pas un air méfiant, il semble juste intrigué et peut-être un peu gêné. Néanmoins, il me tend son calepin. Je m'en saisi en m'asseyant près de lui. Tout en observant son travail, je laisse échapper malgré moi un soupire d'admiration.

— C'est magnifique ! soufflé-je. Tu dessines vraiment super bien ! Tu as pris des cours ou ça t'est venu naturellement ?

— Merci. En fait j'ai découvert que j'étais doué pour le dessin lorsque j'étais petit, et depuis, j'ai pris des cours pour m'améliorer.

Sa voix est douce, enivrante, je bois ses paroles. Il m'explique ensuite qu'il a passé son Bac cette année et qu'il entrera dans une école d'art à la rentrée, c'est pourquoi il doit faire autour de deux cents dessins avant début septembre.

Nous discutons encore un peu de son parcours et de ses précédents dessins lorsque je me rends compte que j'ai oublié le plus important :

— Au fait, je ne me suis pas présentée... Je m'appelle Ambre.

— C'est un joli prénom. Moi c'est Michaël.

— Merci.

— Et toi, que fais-tu l'an prochain ? me demande-t-il, de nouveau concentré.

J'ouvre la bouche pour répondre quand des voix familières me parviennent. Je capte des bribes de conversation dont « garçon » et « ne pas la déranger », et reconnais dans le même temps la voix de mon père. J'en suis à la fois agacée et amusée. Je reprends la parole :

— Michaël, je dois y aller, mes parents m'attendent...

Il lève alors ses yeux chocolat vers moi et nos regards se croisent longuement. J'ai envie de me noyer dedans, que ce moment dure toujours. Un frisson de plaisir vient s'installer bien confortablement au creux de mes reins.

— Ah, bon, d'accord... A bientôt, alors.

Je laisse un grand sourire sincère se dessiner nonchalamment sur mes lèvres. Je crois discerner un mélange de regret, de tristesse et d'espoir qui traverse son regard un court instant. Il ne me quitte toujours pas des yeux lorsque je me lève pour rejoindre ma famille qui m'attend derrière. Quand je les ai rejoint, il se replonge dans son dessin. C'est donc le cœur lourd que je suis mes parents et mon frère vers la voiture.     

Un amour de campingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant