Nack
D'un coup, les citoyens inactifs sont sortis un peu de leur transe malsaine. Ils se sont exclamés : "Quelle horreur ! Comment est-ce possible ! Heureusement que le gouvernement nous protège..." et ils avaient raison. J'avais raison.
Tany est partie dès qu'elle m'a vu mettre en ligne cette information. Elle ne veut rien avoir à faire avec ça, comme je la comprend. Il semblerait qu'elle ait vu juste, trois agents suivis du Chef viennent d'entrer dans mon bureau, l'air méfiant. Ils ont du recevoir beaucoup plus de retours que d'habitude, c'était à prévoir.
"Beren, n'avez-vous pas reçu des ordres clairs de la part du gouvernement ?"
"On m'a informé d'être prudent, je l'ai été. C'est après longue expertise que j'ai pris cette décision, en connaissance de cause. Je suis persuadé que la population ne pourra réagir que positivement à long terme."
Il vaut toujours mieux se justifier auprès du Chef, il n'aime pas les excuses. C'est ce que nous avons en commun, lui et moi. Pourtant, cette fois je ne pense pas qu'il soit convaincu par mon point de vue. Mais ce n'est pas à lui de prendre des sanctions à mon encontre, alors il retourne sur ses pas. Je vais continuer à avoir des ennuis, dès qu'il aura contacté la hiérarchie. Le gouvernement ne comprend pas ce qui va dans son intérêt.
Eagler
Nous descendons jusqu'au réseau souterrain, celui qui est réservé aux transports officiels des armées. Jamais je n'aurais pensé marcher un jour de mon propre grès dans ces tunnels, mais la sagesse est de savoir changer d'avis tant qu'il en est encore temps... J'ai conscience qu'il me faudra encore quelques temps pour avoir l'esprit tranquille, mais à mon âge, rien n'est encore joué.
Les trains fonctionnent à merveille, beaucoup mieux que ceux des bas quartiers où j'habite. Il faut bien en laisser sur le bord de la route parfois, telle est la philosophie du système, malgré tous ses beaux discours. C'est pour ça que personne ne suit les règles, même les plus justes, dans nos banlieues.
L'être humain est fier, et la vengeance sa nature. Moi, je dépasserais cette nature dont les codes appartiennent au passé. Je ne veux que l'avenir.
Et c'est sur ces paroles d'encouragement bien pensées que je me dirige, tout juste à la suite des soldats qui m'accompagnent, vers la sortie. Il n'y a aucune indication sur les murs, aucun moyen de savoir où nous sommes, et ici mon interface ne reçoit aucun signal satellite. Nous sommes trop profond sous terre.
Une grande porte en métal se découpe sur le mur ouest, elle a l'allure impressionnante d'une entrée officielle, mais ses gonds sont rouillés en profondeur. Cela fait bien longtemps que cet endroit n'accueille plus les membres directs du gouvernement.
J'ai à peine conscience de mon sourire, peu importe après tout. Peu importe mon avis, celui des autres, peu importe la justice ou le passé. Juste là, il y a peut-être le pouvoir, celui de tout changer. Je le jure, je ne reculerais devant rien.
Volga
Les interfaces des rebelles ont été désactivées. Ils sont prudents, je dirais que c'est normal. Certains diraient même que c'est de bonne guerre. Ceux-là ne sont pas de ceux que je suivrais, je ne fais pas partie des modérés. Soit on se bat, quitte à laisser quelques traces de boue après notre passage, soit on se résigne. Le pire, c'est que c'est à eux que Fajer donne raison. Même Zavy est une chochotte, mais je ne vais pas trop critiquer ses manières, parce qu'elle est toujours là pour moi.
La plupart des données, quelles qu'elles soient, sont transmises pas l'interface. Tout le monde en a une dès le moment où ils savent parler, et depuis tout est contrôlé par cette centralité. Nos déplacements, notre identité, notre liberté d'expression, et même parfois nos mouvements.
A partir d'un certain âge, retirer l'usage de l'interface à quelqu'un est semblable à retirer une partie de son esprit. C'est ça qu'ils ont inventé comme nouvelle évolution de l'humain, un esprit qui ne nous appartient pas, et que nous partageons avec tous nos autres concitoyens.
Pour ma part, je suis née clandestine mais j'ai pourtant toujours vécu avec comme compagnon le petit voyant vert, symbole du système, à la lisière de ma vision. Ne plus l'apercevoir est une étrange sensation. C'est comme si je n'étais plus rien, plus même un être de cet âge. Je suis seule, et je ne peux compter sur rien ni personne pour m'aider maintenant. Il faudrait se résigner à attendre le procès pour obtenir une réponse.
Les rebelles ne se résignent pas !
Zavy
Nous avons rouvert Duntag pour l'occasion, et nettoyée. La pièce est toujours aussi immense, et aussi vide. Elle avait été construite par les ingénieurs du camp pour y déposer les cendres de nos morts. Mais en vérité, rares sont les corps qui nous reviennent, et au fil des années Duntag est devenu plus un lieu symbolique qu'utilitaire.
Tout le monde est regroupé, les parents de Mi ne tarderont pas. Avec des effectifs aussi réduits, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser traîner en longueur ce genre de cérémonies. Alors, nous commençons sans eux. Il n'y a pas de protocole particulier, on lit seulement le nom des défunts, en se répétant que leur convictions survivront tant que nous surmonterons cette épreuve.
A chaque nom prononcé, c'est un coup dans notre moral à tous.
"Duvun Referuil, sa mémoire et ses convictions vivront à travers nous pour le restant de notre bataille."
Duvun avait à peine achevé son programme d'apprentissage, et il avait refusé de choisir l'une des voies que le système lui avait proposées. Il ne croyait pas en la justice, et il avait un sens du réalisme très apprécié dans les missions dont on avait une chance de revenir.
"Eliz Tran, son combat était le nôtre, tant que nous serons de ce monde nul ne pourra l'étouffer."
Eliz avait donné naissance à des jumeaux, sans en avoir eu l'autorisation. Les autorités ont placé ses enfants dans un foyer, et elle avait quitté sa ville avant qu'on ne la convoque au tribunal. Elle...
Je ne peux plus, c'est insupportable. Je connais toutes leurs histoires, je sais pourquoi ils étaient des nôtres, et pourquoi ce jour-là ils étaient prêts à mourir pour sauver une camarade. Et ça, Volga ne le saura jamais.
Toom
Je vais encore passer la nuit au bâtiment 6, j'en ai marre. Et puis, après mon passage au tribunal on me mettra sûrement dans un foyer que je ne connais pas, et j'aurais encore plusieurs années à attendre avant de faire ce que je veux. Je dois trouver une solution.
Tout à l'heure, j'écoutais les conversations aux guichets. J'ai surtout entendu des plaintes sans intérêt, mais je me souviens d'une jeune femme qui avait demandé quelque chose de particulier : elle voulait travailler pour le système. C'est ça la bonne idée qu'il me manque ! Si je leur dis la même chose, je n'aurais peut-être pas besoin de dormir ici, ni de me faire trouver une deuxième famille. Et comme ça, je pourrais me venger dès maintenant.
Mais bon, je ne sais pas faire grand-chose qui soit utile en-dehors d'une ferme. Je sais trafiquer le compteur électrique, mais à quoi ça pourrait leur servir ? Quoique, il y a quand même les dégâts du mur à nettoyer, je suis petit et jeune mais je sais faire efficacement le ménage. Je vais les aider.
C'est embêtant, les agents qui s'en occupent ne veulent pas de mon aide. Que peut faire un enfant pour la société, après tout ? Bon, il va falloir que la nuit me porte conseil pour que je trouve quelque chose à dire au tribunal pour éviter la famille d'accueil.
En fait, j'aurais dû rejoindre Zavy et les rebelles tout de suite. Je suis bête, je suis bête, je suis bête ! Mon oncle m'a pourtant appris à toujours réfléchir à ce que je fais. Réfléchir, c'est notre seule arme quand toutes les autres ont disparut. Un jour, je serais assez grand pour comprendre, je pense.
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Bienvenue à Duntag
Science FictionQui n'a jamais rêvé de se lever contre quelque chose de plus grand, de plus fort, d'encore plus dangereux ? Qui n'a jamais rêvé de se battre dans l'ombre, pour ce en quoi il croit ? Et quand l'occasion se présentera enfin, le ferez-vous ? (TW : mort...