Nouvel Ordre ..!

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C'est qu'il savait s'y prendre, Werner, pour arracher un ongle. Il prenait une petite pince très dure, le genre pince à épiler mais avec des dents, tu vois ? Il l'avait toujours sur lui. Ça lui plaisait de prendre ta main et de la serrer bien cordialement, si t'étais un homme. Pour les femmes c'était juste un baise-main, à l'ancienne. Ça manquait pas de classe. Et puis il pinçait et arrachait. En général l'ongle partait d'un coup, ça craquait mais du genre mouillé, et y'avait toujours un temps, tu sais, deux ou trois secondes avant que ça braille. Quand ça commençait, lui il se mettait à gueuler aussi, comme un fou. Jamais vu quelqu'un aussi heureux de faire mal...
Ça te fait marrer ? Et ben ça devrait pas. C'est pas très respectueux. Le gars avait des qualités. Il chantait super bien, tu le crois, ça ? Un jour il nous a fait un récital. Il se tenait juste là où t'as ton cul posé. La chanson c'était un truc sur un curé qui veut se taper une gitane je crois, dans le genre comédie musicale à l'ancienne. On l'a écouté, parce que ça couvrait les malheureux qui gueulaient derrière, et puis on a applaudi à la fin. C'était vraiment beau, putain. On aura beau dire mais on avait le cœur léger après. Ça nous a aidé pour nettoyer tout le sang. On chantonnait tous. Faut bien se donner des petits plaisirs, c'est pas la corpo qui va le faire, vrai ? Pour les costards on est juste bons à faire le boulot et à nettoyer. Des larbins, quoi. Celui qui craque on le remplace, c'est pas compliqué. C'est direction la broyeuse. Alors on craque pas. On fait au mieux.
Tu m'as l'air d'un petit malin, le blondinet. Tu sors d'où ? On dirait que t'es sorti de ta mère sans faire toucher les oreilles. Tu crois que t'as l'estomac, hein ! Tu l'as ? Moi je crois pas... Et puis merde, on s'en fout, y'en a plein des comme toi, tout le tour du ventre, tous à s'engager comme quoi le Parti, le Nouvel Ordre et toutes ces conneries. Tu voulais voir du pays, c'est ça ? Tu t'es vu mourir en héros au front, ou buter un max de pauvres types pour faire ton petit papa tout fier de toi... Et ben tu vas commencer par passer le karcher dans la salle rouge, petit gars. J'espère que t'as le cœur bien accroché vu que quand c'est fini la salle porte bien son nom. Y'a un trou au milieu, tu feras gaffe. C'est pour les corps. Ça les broie, et puis je suppose que c'est reconditionné derrière, ou une merde dans le genre. C'est ce qu'on fait pour la corpo, et c'est pour ça qu'ils nous payent. Et pour fermer nos gueules.
Souris pas je te dis ! Jamais ! Tu te crois à la petite école, un sourire une pomme à la maîtresse et une bonne note pour la peine ? T'es chez les salauds. Chez les dingues. Ça tue un sourire, ici. T'aurais dû connaître Werner, c'est dommage. Il t'aurait fait comprendre, lui, ce que ça coûte un mignon sourire de petite pute dans ce clapier. Mais il est plus là, et nous on est bien emmerdés vu qu'on a plus de chanteur. Juste les pauvres cloches toutes les heures dans la salle rouge. Ils chantent, ça oui ! Mais c'est pas le même refrain. Ça gueule tellement fort des fois qu'on on dirait une bête. Une grande bête sauvage qui s'est pris sa grosse patte dans un piège. On s'y fait tu verras, mais avec un bon chanteur c’est mieux. Il nous manque le Werner.
C'était à la fin de l'hiver dernier, on avait le cul qui pelait. Y'a eu un arrivage de pauvres types, et dans le lot t'avais une de ces bonnes femmes, tu sais, du genre qui achète tout avec ses cuisses. Y faisait tellement froid qu'au lieu d'arriver par soixante on en sortait déjà la moitié qu'étaient comme des glaçons. Suffisait de taper un peu fort au marteau et crac ils se pétaient en plein de morceaux. Bref Werner il l'a vue arriver, la petite. C'était pourtant pas son genre, de tomber sur le cul pour une poule. C'était surtout un passionné de violence, enfin qu'on croyait. Il se l'est mise de côté, sans rien dire à personne. Elle a dû rester cachée dans la remise pendant quinze jours, et puis quelqu'un l'a trouvée et balancée dans le broyeur, ni une ni deux. Elle a dû en faire un joli tartare ! Alors Werner il est devenu fou, il gueulait, attaquait au hasard avec son marteau, celui qui avait un nom, l'Écrase-Tête. On a dû le maîtriser, et puis des gars de la corpo ont déboulé et couic, Werner a fini en parmentier. C'était dur, quand tu l'avais entendu chanter. Il a gueulé le nom de la petite, jusqu'au fond du trou. Dur.
Tu sais chanter petit ? Je parie que non, mais tu pourrais me surprendre. Allez, y'en a qui arrivent. Encore une belle fournée de malheureux. Tu sais quoi, c'est toi qui ouvre les portes aujourd'hui ! Je t'aime bien, prends le comme une faveur. Moi je suis de la cogne, pas que ça m'amuse. Je veux que tu chantes pour nous. Faut qu'on t'entende dans la salle, pigé ? Les gars t'aimeront bien si t'as du coffre. Et même, pour les pauvres cons qu'en on plus pour longtemps, c'est plus humain.
T'es prêt gamin ?

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