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« le 26 octobre
Paris
Lysandre,

Il y a plusieurs raisons qui font que je t'écris cette lettre. Tout d'abord parce que tu es un garçon. J'aurais pu écrire à une fille mais je n'aime pas les filles. Ensuite parce que tu es un garçon avec un nom qui sonne étrangement bien à mes oreilles. Lysandre Monnet, c'est beau à écrire et à dire, tu ne trouves pas? C'est ce qui m'a attiré quand j'ai ouvert le livre jaune à la recherche de quelqu'un. Le nom d'un peintre et un doux prénom, ça me va très bien. Et enfin tu habites rue des muses. Qu'est ce qu'un romantique comme moi pourrait espérer de mieux?
Non bien sur il y a autre chose qui m'a fait saisir mon stylo pour écrire, le plus important même.

Je suis dépressif.

Voilà je l'ai écrit. C'est pas facile à dire tu sais ? C'est plus simple de l'écrire à un parfait inconnu comme toi. Parce que les personnes avec qui tu passais avant ta journée, tes soirées, ta vie quoi, te regarde comme si t'étais sur le point de les contaminer. Ils ont peur au début de te rendre encore plus triste avec leur bonheur puis finalement ils finissent par te dire qu'il y en a marre de te voir toujours avec des idées noirs, qu'il est tant de remonter la pente. Mais personne te tend la main. Puis les amis disparaissent réellement et tu finis asocial à 21 ans. Toujours chez tes parents avec aucun projet d'avenir parce que de toute manière tu sais pas si tu seras encore là dans quelques semaines, parce qu'il se passe pas un jour sans lequel tu penses au suicide.
Ça embête un peu mes parents que tous ça soit ma vie. Au début ils me laissaient sortir, puis j'ai failli me jeter d'un pont, un soir où j'avais peut être trop bu. C'est un vieux qui m'a demandé si j'allais bien alors que je commençais à escalader la barrière comme je pouvais. J'ai juste haussé les épaules et il m'a forcé à descendre puis il m'a demandé mon téléphone, je lui ai donné. Il a appelé mes parents. J'ai été consigné.
Maintenant mes parents m'accompagnent partout et le seul endroit où je peux me rendre sans être surveillé est le jardin. Toute la maison a été passé au peigne fin. Plus de rasoir dans la salle de bain, les verrous ont été retiré des portes et je n'ai pas le droit de faire la cuisine. Je suis un peu considéré comme un bébé, un bébé à qui on empêche de faire des bêtises. Je ne blâme pas mes parents, je comprends que tous cela les fasse souffrir mais malheureusement j'y peux pas grand chose.
Je suis allé voir des psys et ils m'ont donné des médocs. Je suis un peu shooté avec mais ça va la plupart du temps. C'est juste qu'une crise n'est jamais bien loin. Et que je vois la souffrance de ma famille. Ça m'aide pas forcément.
Quand je dis « famille », je parle de la famille en générale, père, mère, sœur, tantes, oncles, cousins, cousines, grand-parents. Alors quand je vois les sourires tristes qu'ils affichent quand je rentre dans une pièce, j'ai pas envie de le voir sur le visage de quelqu'un d'autre. Donc je n'essaye pas de communiquer avec d'autres personnes de mon âge par exemple. Trop peur de m'attacher et de souffrir encore plus. Et pour ne pas passer pour un égoïste, je rajouterais que c'est aussi pour ne pas faire souffrir d'autres personnes.
Alors ouais, j'arrive pas à me faire des amis et bien que je pensais m'en passer, mon psychologue m'a remis les idées en place. Il m'a dit que je devais en parler avec quelqu'un, que je devais le faire pour me libérer. J'arrive pas à le dire alors j'écris. C'est comme ça que je veux me confier, et je suis entrain de le faire avec toi. Tu te rends compte de tous ce que je t'ai déjà appris sur moi ? Beaucoup trop de choses à mon goût. Mais ce qui me rassure, c'est que si tu me réponds et qu'on devient amis, je ne verrais jamais ton visage. Alors aucun moyen de voir si ton sourire quand tu reçois un de mes courriers est un peu moins éclatant.
Puis t'habite vers la mer alors dans le pire des cas si tu décides d'ignorer ma lettre, jettes la dans la mer (ça fera plus tragique et ça s'assortira bien avec mon humeur actuelle).
Bon je vais arrêter de jouer au personnage de tragédie accablé par le destin et te dire pourquoi je suis comme ça.
Si je suis aussi mal aujourd'hui, c'est que j'ai suivi pendant deux ans des études de médecine. Je pensais, un peu comme un gosse, que je serais une sorte de dieu qui ferait des miracles. Mais j'ai vite déchanté devant la réalité.
Mes parents, comme tous parents qui se respectent, invitent quelque fois des gens à manger et une fois, ils ont invité les Bochard. Ils avaient trois enfants, Gaspard, l'aîné, Augustin, le second et Constance, la dernière. Ils avaient énormément d'écart avec moi, et cela m'a permit de me faire de l'argent. En voyant que je m'entendais bien avec les enfants, leurs parents m'ont proposé de les garder. Je ne les ai pas gardé beaucoup de fois, mais assez pour m'attacher à eux.
Et quand on m'a annoncé six mois plus tard, que Gaspard avait le cancer, j'ai pas réalisé. Il l'avait déjà eu plus petit, il pensait l'avoir battu mais c'était faux. Le cancer ça peut pas arriver deux fois à un gamin de huit ans, c'est trop triste. Et pourtant ça c'était vrai.
Il est devenu interne à l'hôpital proche de l'endroit où j'étudiais. Il y est resté trois mois, j'allais le voir de temps en temps, entre deux cours ou pour le repas. J'avais expliqué à mes amis, et ils me soutenaient.
Puis un jour, alors qu'on était en voiture avec ma mère, elle s'est tournée vers moi et elle m'a dit :

« Théodore, je suis vraiment désolé, mais le fils des Bochard, tu sais, le petit Gaspard, il est mort. »

Je me rappelle plus vraiment de ma réaction, je crois que j'ai pas réagi tout de suite. C'est le soir que j'ai pleuré. Que j'ai vraiment pleuré. Sa mort, ça m'a ravagé. On peut pas mourir à huit ans. C'est injuste. Alors j'ai tout arrêté. J'ai rayé la médecine de ma vie. Et malgré le fait que je ne le connaissais pas bien ce gosse, j'ai toujours pas fait mon deuil.

Bon je crois que je vais m'arrêter ici, ce serait mentir que de te dire que je me sens beaucoup mieux de t'en avoir parlé. Mais c'est déjà ça.

En espérant que tu me répondes,

Théodore Espérandieu.

Ps : mon adresse est au verso. Je me suis renseigné. Une lettre met deux jours environ à arriver sur le littoral. Si dans une semaine, je n'ai pas de réponse, je considérerai que je n'en aurais jamais. »

Théodore plia sa lettre et la rangea dans l'enveloppe. Il lécha le timbre avant de le coller à l'aide de son pousse juste à côtés de l'adresse de Lysandre. Puis il se leva, éteignit la lumière de son bureau et prit son courrier. Il sortit de sa chambre et descendit deux à deux les marches en appelant :

« Maman ! J'ai besoin qu'on m'accompagne à la boîte aux lettres !
-Théodore, tu devrais y aller demain, il pleut des cordes dehors. »

Le jeune adulte s'approcha de la fenêtre. Effectivement, il pleuvait ; il ne l'avait même pas remarqué avant. Comme il pouvait être distrait.
Il fit une moue boudeuse avant de regarder sa mère assise à la table, la tête dans son ordinateur. Elle posa ses yeux sur lui, soupira en voyant sa tête de chien battu.
Théodore su immédiatement qu'il avait gagné. Son statut de malade avait malgré tout un avantage, ses parents n'osaient pas lui refuser grand chose.
Rachel Espérandieu se leva, retira ses lunettes de vue, rendant ses yeux verts moins ternes, laissant apparaître quelques rides au coin de ceux ci. Elle remonta ses cheveux châtain grisonnant en un chignon strict et elle fit signe à son fils d'aller s'habiller.
Théodore se dépêcha d'enfiler son anorak, rabattant sa capuche sur ses cheveux bruns et chaussa ses converses avant de tendre à sa génitrice son parapluie. Celle-ci le saisit et une fois ses bottes enfilées, elle sortit avec lui.
Ils se dépêchèrent d'atteindre la boîte jaune et Théodore retint son souffle. Il s'écarta de sa mère, et il fit une nouvelle pause. Était-ce vraiment une bonne idée ?
Il ferma les yeux et il laissa glisser son enveloppe dans la fente de la boîte après l'avoir sorti de sa poche. Elle était cornée et cela le rendit triste, à moins que ce soit la peur qui le fit pleurnicher sur le retour.

Allez, une semaine. Se répétait il, une semaine c'est rien.

Les maux bleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant