Théodore remua mollement sa cuillère dans sa tasse de thé bouillante. On était dimanche, et le dimanche il n'y avait pas de lettres.
Est-ce qu'il devait décompter ce jour de la semaine qu'il avait laissé à Lysandre ou est-ce qu'il devait le compter ?
Il savait bien que ses questions étaient ridicules mais elles le rassuraient.
Il avait parlé de ses lettres à sa sœur. Celle ci lui avait dit qu'il n'aurait qu'à recommencer avec quelqu'un d'autre. Mais il ne voulait pas, sa lettre était unique et elle était pour Lysandre. Personne d'autre ne devait la recevoir. Olympe n'avait pas compris. Mais elle ne pouvait pas. Elle n'était pas Théodore et bien qu'elle était la personne qui devait le connaître le mieux au monde, elle n'était pas lui.
Si le jeune Espérandieu avait dit être seul et avait affirmé que personne ne l'avait soutenu, c'était faux. Théodore devait avouer avoir un peu joué à la drama queen dans sa lettre et il n'était pas vraiment capable d'en dire la cause. Était ce de peur que Lysandre ne voit pas sa réelle détresse ? Était ce pour piéger Monnet et ainsi l'obliger à lui répondre ? Dans tous les cas, il passait à présent pour un vrai égoïste. Il avait menti, enfin un peu.
Ses amis l'avaient vraiment abandonnés mais Olympe avait été là.
Depuis le début elle l'avait soutenu mais la voir gâcher sa vie pour lui, s'oublier jusqu'à refuser des rendez-vous le soir pour rester manger une pizza avec lui, ne l'avait pas aidé plus que ça. Bien sûr, au moment même il était soulagé que quelqu'un prenne soin de lui quand son père et sa mère bossaient mais rapidement il s'était mis à culpabiliser. Il s'était encore une fois senti responsable du malheur de celle-ci. Car même si elle ne l'avait jamais dit, elle l'était.
Sa sœur rentra dans le salon en pyjama. Elle faisait du droit et ses parents lui payaient un petit appartement pour qu'elle apprenne à se débrouiller mais Olympe rentrait tous les week-end ou presque. À 24 ans, rien ne l'intéressait plus que ses études et l'état de santé de son frère. Elle s'était découverte être de nature protectrice avec lui à l'annonce de sa maladie. Elle qui avait passé son temps à l'embêter et à le faire pleurer petite prenait maintenant le temps de l'écouter parler quand il en avait besoin ou elle le taquinait mais bien plus gentiment.
L'étudiante s'attabla avec une tasse de café en face de lui :« Tu sais à quoi il ressemble ton Lysandre ?
-C'est pas mon Lysandre. »Répondit très vite le plus jeune en fronçant les sourcils. Olympe hocha la tête, il valait mieux éviter d'en parler apparemment.
« J'ai pas de photo de lui, j'ai..je l'ai trouvé dans la page jaune. »
La brune recracha une partie de son café dans sa tasse. Ce fut à son tour de froncer les sourcils alors qu'elle assimilait les paroles de son petit frère.
« Sérieusement Théo ? Ça veut dire qu'il peut avoir 20 comme 80 ans ?
-Ouais.. C'est à peu près ça.. Mais c'est pas grave. J'veux juste quelqu'un de loin. »Olympe hocha la tête, elle espérait au fond d'elle que le brun ne recevrait jamais de réponse. Ce serait le plus simple. N'est ce pas ? Il n'avait pas besoin de parler avec quelqu'un par lettre mais à une personne présente. Quelqu'un qu'il croiserait dans son amphithéâtre en retournant en cours, un ami qu'il rencontrerait dans un bar, bref quelqu'un de normal.
La plus vielle ne disait pas que cet inconnu était forcément taré. Mais si il répondait à la lettre de son frangin alors il y avait des grandes chances qu'il le soit. Qui répondrait à une lettre écrite par un inconnu qui raconte sa vie et tous ses problèmes ? Personne.
Elle jeta la fin de son café dans l'évier et se tourna vers le plus jeune qui, quant à lui, n'avait toujours pas fini son thé.« On sort cette après midi ? Tu devrais vraiment prendre l'air, tu es blanc comme un cadavre Théodore. On dirait que tu n'es pas parti pendant deux mois en Grèce avec papa et maman. »
Théodore aurait aimé lui répondre qu'il aurait aimé que ce teint blafard qu'il arborait avec honte soit dû à la mort.
L'après midi était arrivée rapidement et la pluie n'avait pas daigné tomber au plus grand damne du brun. Sa sœur accrochait à son bras comme ci il pouvait s'envoler à tout moment, leurs pas les conduisaient au parc. Il avait lutté corps et âme contre la proposition d'Olympe qui consistait à aller aux galeries Lafayette. Déjà il fallait prendre le métro, chose qu'il ne faisait que très rarement et vraiment en cas d'urgence. De plus il y avait beaucoup de monde, trop de monde dans ce genre d'endroit. Bientôt ce serait Halloween et les boutiques exposaient toutes leur collection spéciale. Et pour terminer, celles-ci n'étaient pas loin de la Faculté de Médecine. Il risquait d'y croiser ses anciens camarades.
Après plusieurs longues minutes de débat, il avait fini par l'emporter avec le seul argument qu'il voulait à tous prix prendre l'air et que les galeries étaient fermées.
Ils avaient donc marchés jusqu'aux jardins des tuileries main dans la main puis ils s'étaient assis avant de prendre une crêpe. Il n'en mangea qu'une partie mais sa sœur n'y fit pas attention.
C'était parfait, un cadre magnifique quoique les feuilles mortes laissaient à désirer, il était en compagnie de sa sœur et il avait dans les mains une des choses qu'il aimait le plus sur terre. Cependant il y a toujours un « mais », non ?
Un petit garçon passa en courant à côtés de lui et s'arrêta pour le fixer. Théodore ne comprît pas immédiatement ce qui se passait. Sa sœur se leva et serra la main de la femme qui venait de rejoindre son fils. Olympe parlait lentement mais le plus jeune ne comprenait toujours pas, ou peut être qu'il n'écoutait pas.« Gaspard.. »
Sa voix se brisa en un sanglot silencieux que lui seul avait pu entendre. Revenait il le hanter ? Il n'avait pas pu le sauver mais ce n'était pas sa faute. Cela n'avait jamais dépendu de lui.
C'est ce que son psy lui avait raconté. Il ne devait plus tant espérer et arrivait à se détacher voir à faire preuve d'indifférence face à certaines situations.
Et c'est ce que tentait de faire Théodore à ce moment même. Gaspard ne pouvait pas être ici. Il avait vu son cercueil se faire ensevelir, il avait même jeté une fleur à l'intérieur. C'était juste Augustin, n'est ce pas ? Mais c'était trop tard, déjà le brun se sentait habitait d'une culpabilité inapproprié. Si il était passé plus souvent voir Gaspard, si il avait aidé les médecins.. Peut être aurait il vu la tumeur grossir et se développer rapidement comme un coucou dans un nid. Mais il n'avait rien fait à part venir manger avec lui. Il s'était même déjà vu lui refuser une histoire une fois. Comme c'était ridicule maintenant.
Il revoyait la pierre tombale où était inscrite les dates de l'enfant et il fut pris d'une puissante migraine. Il ne put retenir ses larmes. Il s'imaginait la grande faucheuse au dessus de Gaspard alors qu'il prenait une dernière bouffée d'air, l'empêchant de réaliser ses rêves.« Je voudrais être comme toi plus tard Théo. »
C'est ce qu'il lui avait dit quelques jours avant de mourir. Maintenant c'est le jeune homme qui souhaitait lui ressembler, du moins dans l'état. Si il pouvait il prendrait même sa place. Il avait souvent prié. Lui qui ne croyait pas en dieu, il s'était mis à le supplier de rendre la vie à cet enfant. Il l'avait aussi engueulé. Après tout, il n'avait plus rien à perdre.
Olympe remarqua finalement le mal être de son frère, la tête baissée, elle n'était pas sur qu'il pleurait jusqu'à ce qu'elle remarque les traces des larmes tombaient sur son pantalon. Elle s'excusa platement, inventant un rendez vous qu'ils ne devaient pas louper pour relever Théodore. Elle le traîna plus qu'elle ne le fit marcher jusqu'à un banc plus loin.
Une fois à l'écart, elle le prit contre elle, sa tête contre sa poitrine. Elle senti les pleurs de son frère mouillés son haut et cela lui brisa le cœur une nouvelle fois.
Théodore n'avait jamais avoué à la famille Bochard que la mort de leur aîné était la raison de son grand malheur et avait déclenché quelque chose en lui de terrifiant.
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Les maux bleus
Teen FictionThéodore ne savait pas comment en parler alors il a écrit avec des mots ses maux.