Septembre - Autre histoire d'âne

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De tous temps, dans la littérature, l'âne porte le bât comme Jésus sa croix. L'homme voudrait se défaire de son lot de misère et le refile, symboliquement ou concrètement, à cette pauvre bête... Malgré son courage, ou sa résignation, celle-ci finit le plus souvent par succomber sous les tourments. Il est pourtant sympathique notre âne : on le dit parfois bête, parfois intelligent, on le veut sensible, mais on sait surtout que jamais il ne se rebelle, ce qui nous semble une sagesse exemplaire. Et ses yeux, s'ils expriment l'épuisement ou la tristesse, ne jettent jamais la pierre... Jésus je te dis !

Alors si je te raconte dès le début qu'un âne tombe dans un puits, tu vas sans doute vouloir t'épargner du temps, et refermer cette histoire, trop morose, « ça va bien, j'ai déjà vu l'Homme du Picardie, j'ai pleuré mon compte ! ».

Pourtant il arrive que le sort réserve une autre fin que celle qu'on imagine...


Le maître, son âne et le puits

Un âne un peu curieux,
Ayant pourtant vécu,
Pour connaître le fond au mieux,
D'un puits se penche au-dessus,

Mais glisse sur la margelle,
Voit bien qu'il n'a pas d'ailes
Et choit au fond du puits
Comme dans un Tex Avery !

« Boudiou» s'écrie son maître,
Le voyant disparaître.
Il croît son âne perdu,
Et son puits corrompu.

Mais l'homme est philosophe :
« Le baudet est bien vieux,
Et le puits n'vaut guère mieux »
Nous dit-il, en off.

Il projette aussitôt
De faire avec une pelle
De ce puits un tombeau.
Mais c'est là que l'âne appelle !

Car de sa chute mortelle,
Il s'est relevé pourtant,
Voudrait se faire la belle,
Le dit de ses braiements.

Notre homme l'entend bien !
Mais ne trouve nul moyen
Pour le faire ressortir :
pour abréger sa fin veut le recouvrir.

Au début, comprenant,
L'âne brait d'autant,
Puis se tait à petit
Quand se remplit le puits

Ainsi, au fond du trou,
Le silence se fait,
Démontrant peu ou prou
De la bête le décès.

Le maître verse une larme,
Car c'est un homme de cœur,
Dit « dieu ait son âme »
Et finit son labeur.

Mais voici tout à coup
Que se tournant, le maître
Voit la tête et le cou
De son âne apparaître !

Enterré se voyant,
L'animal s'est défendu :
Piétinant, s'ébrouant,
S'est maintenu par-dessus.

On le dit bête et pourtant
L'âne a vite compris
Que chaque pelletée tombant
Le poussait vers la sortie.

L'homme est en joie,
Veut embrasser son âne.
Lui ne sait s'il lui doit
Un merci ou un blâme.

Il est certaines morales
Plutôt paradoxales :
A quoi tient donc ici
Cette fin réussie ?

Autant au fait de croire
« Je ne suis pas vaincu »
Qu'au renoncement notoire
De qui l'a cru perdu !


Un mois, une fableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant