Zoé Travis, l'Éternelle par Patricia LAURENT (Chapitres gratuits)

2ème chapitre

Chapitre 2

   Ce soir-là, Matt finit tard. Son travail occupait tout son temps, ne laissant aucun espoir à une femme, tout au plus à une maîtresse. Il estimait être assez engagé avec sa maison d’édition sans se mettre une famille sur le dos. Il vivait dans une routine désopilante. Après une journée épuisante, il savait qu’il retrouverait dès le lendemain une pile de manuscrits s’amoncelant jusque dans les couloirs, dans l’attente de son avis décisif.

   Comme à l'accoutumée, dans des gestes précis et répétés, il s'empara de son pardessus noir, au cas où... le plia avec des mouvements réfléchis sur son avant-bras. Puis, il éteignit les lampes plongeant son bureau dans l’obscurité, dont seule une myriade de lumières éparses provenant du Tout-Paris filtrait. Il balaya ses affaires du regard une dernière fois, puis tira la porte. Ce fut à cet instant qu’il avisa le manuscrit de cette ²emmerdeuse² de Travis. Des filets d’or couraient sur la couverture, brillaient de mille éclats avec une insistance sournoise. Si le fait l’étonna, il demeurait trop fatigué pour essayer de l’analyser. Usé par le travail de Titan qu’il abattait quotidiennement, un profond soupir franchit ses lèvres.

   — Au point où j’en suis¼, maugréa-t-il pour lui-même.

   L’insolente ne lui avait-elle pas recommandé d’éviter de laisser le livre entre les mains d’autrui ? Comme si... pire encore. La miss avait semblé suggérer que son comité de lecture n’avait pas le droit de citer. L’idée saugrenue le révoltait. Il haussa les épaules, irrité de se voir dispenser des leçons par une parfaite inconnue. Il s’était retenu de lui faire une remontrance bien sentie, eu égard aux grandes prunelles noires dont les cils battaient compulsivement.

   Sans vraiment réfléchir, il revint sur ses pas. Comme hypnotisés, ses doigts effleuraient les fines arabesques entrelacées. Il allait glisser le manuscrit dans son attaché-case, quand, sans le vouloir, le titre évocateur qui luisait dans l’obscurité lui sauta aux yeux.

Zoé Travis,

L’Éternelle.

 

      Chacune des lettres scintillait de mille feux.

   — Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne manque pas de toupet !

   D’habitude, il appréciait ce moment particulier de la soirée où tout paraissait calme, pourtant, il maronnait encore en traversant le couloir à grandes enjambées. D’un pas décidé, il descendit l’escalier, salua l’agent de sécurité, avant de regagner le sous-sol et de monter à bord de son véhicule aseptisé. Ainsi la jeune péronnelle se prénommait-elle Zoé. Un peu vieillot, mais tout à fait charmant !

   — Zoé, s’amusa-t-il à répéter.

   Certes, le joli minois au teint de porcelaine, encadré par des boucles de jais, était parvenu à l’ébranler. Mais il avait d'emblée étouffé ses sentiments dans l’œuf.

   Lorsqu’il arriva à son domicile, se servir un verre de scotch bien tassé auquel il ajouta quelques glaçons fut sa première préoccupation. Après avoir mangé sur le pouce, il grimpa à l’étage pour prendre une douche bienfaitrice. Comme à son habitude, il l’achevait par un jet d’eau froid, histoire de tonifier ses muscles et d’aiguiser ses idées.

   Malgré tous ses efforts, il ne put effacer totalement le visage qui venait le hanter depuis des années. Au contraire, la voix mélodieuse de sa fiancée résonnait dans son esprit avec une détermination féroce, apte à le vider de son énergie. Son sourire malicieux capable de le faire fondre. Sa peau si douce. Élodie avait disparu dix ans plus tôt, dans des circonstances pour le moins troublantes. Pour tenter de faire barrage à ses vieux démons, il se rendit dans le salon où il avait abandonné le manuscrit sur la table basse. Il l’attrapa afin de le feuilleter. Les pages retombèrent en cascade. Intrigué par la visite inopinée de l’auteure et de sa véhémence concernant ses écrits, il décida d’en survoler un passage avant de s’endormir. Après quoi, il jugerait utile ou non de le mettre dans un coin en attendant le retour de sa propriétaire dans des conditions qu’il imaginait tout aussi rocambolesques.