30 : Une odeur de cannelle

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Cannelle en média 

Bonne lecture ;)


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- Je ne peux pas continuer.

Providence marqua un temps d'arrêt avant de reprendre avec difficulté :

- Ça fait 150 ans que je tente d'oublier cette date et ce qu'elle représente. 150 ans que je me vois encore, couverte de sang, tous les os du corps brisés. 150 ans que j'ai passé la mauvaise porte.

Maintenant qu'elle en parle, c'est vrai qu'elle ne m'a jamais raconté les circonstances de sa mort. Je m'approchais d'elle délicatement et l'incitait à s'asseoir au sol, dans mes bras. Je sentais son petit corps remuer au gré des sanglots et des larmes mouiller mes vêtements. Mais je ne disais rien. Je la laissais évacuer tout son mal être. Je passais tendrement ma main dans ses cheveux pour l'apaiser et au bout d'un moment, elle releva timidement la tête.

- Maman faisait ça quand j'étais triste. Elle savait trouver les mots et même ne pas les trouver pour me réconforter. Elle sentait la cannelle, parce qu'elle l'aimait beaucoup. Elle faisait toujours plein de petits gâteaux qu'elle sortait tout juste du foyer quand je rentrais de l'école. Elle me disais sans cesse qu'elle ne pouvais vivre sans moi. Je me demande ce qui c'est passé quand je suis morte, si elle m'a suivie ou si elle est restée s'occuper de papa.

- C'était comment ?

- Atroce.

- Tu veux m'en parler ?

Elle renifla et sécha ses larmes avant de revenir se blottir contre moi.

- C'était un soir de novembre. Mes parents étaient partis chez des amis et ne pouvaient m'emmener car il s'agissait d'un dîner fort important. Ils m'avaient ordonné de ne pas sortir. Mais je m'ennuyais. Alors j'ai désobéi : j'avais envie de m'amuser dehors avec Cannelle, notre labrador. C'est maman qui avait choisi son nom. J'avais appris Cannelle à jouer à cache-cache lorsqu'il était chiot, et il était devenu très fort à ça. Nous habitions une grande maison entourée par une forêt de pins, un terrain très amusant pour jouer à ce jeu. Surtout avec l'obscurité qui tombait tôt en novembre. C'était à moi de me cacher, je voulais partir très loin pour que Cannelle ne me repère pas avec son flair. Je courrais tout en regardant derrière moi pour vérifier qu'il n'était pas déjà sur ma piste. Mais tout le monde sait qu'il ne faut pas courir et regarder derrière en même temps, on ne peut pas voir les trous qu'il peut y avoir dans les forêts. Je ne m'en suis préoccupé que plusieurs mètres plus bas, au fond d'une crevasse que je n'avais pas vue. Je ne pouvais plus bouger, la chute avait été trop haute pour épargner le moindre os. Ma vue se brouillait, rougie par le sang qui avait explosé dans tout mon corps et ma voix faiblissait à chaque cri à l'aide que je prononçais. J'entendais des bruits sourds, les aboiements de Cannelle qui tentait d'alerter mes parents qui dînaient à des kilomètres. J'ai regardé ma main, elle avait été complètement déchiquetée par les rocher et j'en voyais les os. Puis, le voile rouge devant mes yeux devint noir, de plus en plus opaque, jusqu'à ce que je ne puisse même plus distinguer mon sang. Cannelle hurlait toujours, et moi, j'étais en train de partir, loin de ceux que j'aimais. Providence ne l'avait été que jusqu'à ce jour.

Je ne savais pas trop quoi dire à ça. Je n'avais pas les mots pour la réconforter, rien ne peut faire oublier un événement pareil. Je comprends maintenant pourquoi les hurlements de chiens et la date sur l'arbre l'avaient paralysée.

- Je ne t'oblige pas à continuer. Si c'est trop dur pour toi, je n'ai pas le droit de te forcer. Tu peux faire demi tour et reprendre ta "vie" dans la cabane. Je te remercie pour ce que t'as fait pour moi alors que tu n'avais rien à y gagner. Je serais pas arrivée là sans toi.

Le pacte du DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant