Il était une fois un vieil homme oui avait trois fils. Les deux aînés étaient intelligents, mais le troisième était un sot: on l'appelait Emilien-le-bon-à-rien. Les deux aînés travaillaient, Emilien, lui, restait toute la journée allongée sur le poêle à ne rien faire. Un jour, ses deux frères s'en allèrent à la foire. Leurs femmes appelèrent Emilien:
- Emilien, va chercher de l'eau. Mais il leur répondit du haut de son poêle : - Je n'en ai pas envie...
- Emilien, tu ferais mieux d'y aller, sinon tes frères ne te rapporteront rien de la foire.
- Bon, d'accord, j'y vais.
Emilien descendit de son poêle, enfila ses bottes, s'habilla, prit des seaux et une hache et s'en alla à la rivière. Là il creusa un trou dans la glace, y plongea les seaux, les posa, puis il regarda dans le trou. Tout à coup il aperçut un brochet. D'un seul geste il l'attrapa: - J'en ferai une bonne soupe ! Mais soudain le brochet se mit à parler:
- Emilien, rejette-moi à l'eau, je te rendrai service.
Mais Emilien se mit à rire :
-Comment peux-tu me rendre service... Non, je vais t'emporter chez moi et je dirai à mes belles-sœurs de te faire cuire. Et nous mangerons une bonne soupe de poisson.
A nouveau le brochet se mit à le supplier:
- Emilien, Emilien, rejette-moi à l'eau, je ferai tout ce que tu voudras.
- D'accord, mais prouve-moi d'abord que tu ne cherches pas à me tromper, alors je te relâcherai.
Alors le brochet lui demanda: - Emilien, Emilien, dis-moi ce que tu désires.
- Je veux que mes seaux s'en aillent tous seuls à la maison, sans que l'eau se renverse...
Et le brochet de lui répondre : - Souviens-toi de mes paroles, lorsque tu voudras quelque chose, il te suffira de répéter:
«De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir.»
Et Emilien répète: - De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, mes seaux, retournez tout seuls à la maison...
A peine eut-il prononcé ces mots que les seaux remontèrent tous seuls sur la berge. Emilien remit le brochet à l'eau et suivit ses seaux. Les seaux traversèrent le village et les gens s'étonnèrent. Quant à Emilien, il marchait derrière eux en riant... Les seaux rentrèrent tous seuls dans l'isba et s'installèrent sur le banc; quant à Emilien, il s'allongea à nouveau sur son poêle.
Au bout de quelque temps, ses belles-sœurs lui dirent:
- Emilien, pourquoi restes-tu couché? Tu ferais mieux d'aller couper du bois.
- Je n'en ai pas envie...
- Si tu ne va pas couper du bois, tes frères ne te rapporteront rien de la foire.
Cela ne disait rien à Emilien de descendre de son poêle. Mais il se souvint alors du brochet et prononça à mi-voix:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, que ma hache aille couper du bois et que les bûches rentrent toutes seules dans l'isba et se placent dans le poêle...
La hache bondit de sous le banc et s'en alla dans la cour où elle se mit à couper du bois. Quant aux bûches, elles s'en revinrent toutes seules dans l'isba et se placèrent dans le poêle. Au bout de quelque temps, les belles-sœurs d'Emilien lui dirent à nouveau:
- Emilien, nous n'avons plus de bois, va en chercher dans la forêt.
Mais lui leur répondit du haut de son poêle : - Et vous alors ?
- Quoi, et nous?... Est-ce notre travail d'aller chercher du bois dans la forêt?
- Je n'en ai pas envie, moi...
- Eh bien, tu n'aurais pas de cadeau.
Rien à faire. Emilien dut descendre de son poêle. Il enfila ses bottes, s'habilla, prit la hache et une corde, sortit dans la cour et s'installa sur son traîneau :
- Allons, les femmes, ouvrez le portail ! Mais ses belles-sœurs lui répondirent :
- Eh ! Tu deviens fou ! Te voilà assis dans ton traîneau sans même avoir attelé le cheval.
- Je n'ai pas besoin de cheval.
Les belles-sœurs ouvrirent donc le portail et Emilien prononça à mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, mon traîneau, va-t'en dans la forêt...
Le traîneau partit tout seul si vite, si vite, qu'un cheval n'aurait pu le rattraper.
Pour se rendre dans la forêt, il fallait traverser la ville. Là le traîneau renversa beaucoup de monde. Les gens se mirent à crier: «Retenez-le, attrapez-le!» Mais Emilien accéléra l'allure. Il arriva enfin dans la forêt:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, que ma hache coupe du bois bien sec, que les bûches se rangent d'elles-mêmes dans le traîneau et qu'elles se ficellent toutes seules...
La hache se mit à couper du bois bien sec, quant aux bûches, elles s'installèrent d'elles-mêmes dans le traîneau et se ficelèrent toutes seules avec la corde. Puis Emilien ordonna à la hache de lui tailler un bon bâton si gros, si lourd qu'on ait peine à le soulever. Puis il s'assit sur le chargement de bois:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, mon traîneau, retourne à la maison...
Et le traîneau se dirigea vers la maison d'Emilien. Emilien traversa à nouveau la ville où il avait renversé beaucoup de monde en passant, mais là, on l'attendait déjà. Les gens se saisirent d'Emilien et se mirent à l'injurier et à le battre. Emilien vit bien que les choses allaient mal tourner et prononça à mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, mon bâton, frotte-leur les côtes...
Le bâton bondit et se mit à frapper. Les gens se dispersèrent; Emilien, lui, s'en revint à la maison et s'installa à nouveau sur le poêle. Au bout de quelque temps le roi entendit parler des agissements d'Emilien, et il ordonna à un officier d'aller le chercher et de le ramener au palais. L'officier arriva, entra dans l'isba où vivait Emilien et demanda:
- C'est toi Emilien-le-bon-à rien? Et lui, de son poêle :
- Qu'est-ce qu'il te faut?
- Dépêche-toi de t'habiller, je t'emmène chez le roi.
- Je n'en ai pas envie, moi... L'officier se mit en colère et le gifla. Emilien dit alors à mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, va, mon bâton, frotte-lui les côtes...
Le bâton bondit et se mit à frapper l'officier. Celui-ci eut beaucoup de mal à se sauver. Le roi s'étonna de ce que son officier n'ait pu avoir raison d'Emilien et il lui envoya son plus grand dignitaire :
- Amène-moi Emilien-le-bon-à-rien, sinon je te ferai trancher la tête.
Le dignitaire acheta des raisins secs, des pruneaux, des pains d'épice, et il s'en alla vers l'isba où habitait Emilien. Il entra et demanda aux jeunes femmes ce que préférait Emilien.
- Emilien aime bien qu'on lui parle gentiment, qu'on lui promette de splendides vêtements, alors il fait tout ce qu'on lui demande.
Le grand dignitaire donna les raisins secs, les pruneaux et les pains d'épice à Emilien et lui dit :
-Emilien, pourquoi restes-tu allongé sur ton poêle? Allons trouver le roi.
- Mais je suis installé bien au chaud...
- Emilien, chez le roi on te nourrira bien, on te donnera à boire. Allons, viens avec moi.
- Je n'en ai pas envie, moi...
- Emilien, le roi t'offrira des vêtements splendides, une toque en fourrure et des bottes.
Emilien réfléchit longuement, puis répondit:
- Bon, d'accord, pars devant, moi, je te suivrai.
Le général s'en alla. Emilien resta encore quelque temps allongé, puis il dit:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, va, mon poêle, allons chez le roi...
On entendit alors un énorme craquement, le toit trembla, un mur s'abattit et le poêle sortit dans la rue et prit la route vers le palais du roi.Le roi, qui regardait par la fenêtre, s'étonna:
- Quel est donc ce phénomène ? Le grand dignitaire lui répondit :
- C'est Emilien qui vient te voir, monté sur son poêle. Le roi sortit sur le perron :
- Qu'est-ce donc, Emilien, on se plaint beaucoup de toi? Tu as renversé beaucoup de monde.
- Et pourquoi se sont-ils jetés sous mon traîneau?
Au même instant la fille du roi, la princesse Marie, se mit à sa fenêtre et regarda Emilien. Emilien l'aperçut et prononça à mi-voix:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, que la fille du roi tombe amoureuse de moi...
Et il dit encore :
- Mon poêle, retourne à la maison...
Le poêle fit demi-tour et s'en retourna. Il rentra dans l'isba et se remit à sa place. Et Emilien restait toujours allongé. Au palais du roi, ce n'étaient que cris et larmes. La princesse Marie se languissait d'Emilien, elle ne pouvait vivre sans lui. Elle demanda à son père qu'il la donne pour épouse à Emilien. Le roi, fort affligé, ordonna à son grand dignitaire:
- Allons, ramène-moi Emilien mort ou vif, ou je te ferai trancher la tête.
Le grand dignitaire acheta des vins délicieux et des mets divers. Il alla trouver Emilien et le régala. Emilien but, mangea et, ivre, alla se coucher. Mais le grand dignitaire l'installa dans un chariot et le conduisit chez le roi.Le roi ordonna alors qu'on apporte un grand tonneau cerclé de fer. On y installa Emilien et la princesse Marie. Le tonneau fut scellé et jeté à la mer. Au bout d'un certain temps Emilien s'éveilla. Il se retrouva dans l'obscurité et fort à l'étroit :
- Où suis-je donc? On lui répond:
- Quel malheur, quel désespoir, cher Emilien ! On nous a enfermé dans un tonneau qu'on a jeté à la mer.
- Mais qui es-tu, toi?
- Je suis la princesse Marie. Emilien dit alors:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, que des vents violents amènent le tonneau sur un beau rivage couvert de sable doré...
Des vents violents se mirent à souffler. La mer s'agita. Le tonneau fut jeté sur un rivage couvert de sable doré. Emilien et la princesse Marie sortirent du tonneau.
-Mon cher Emilien, où allons-nous vivre? Il faudrait que tu construises une petite isba.
- Je n'en ai pas envie, moi...
Alors la princesse le supplia, le supplia et Emilien finit par s'écrier :
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, qu'un palais de pierre au toit doré se construise ...
A peine eut-il prononcé ces mots qu'apparut un palais de pierre au toit doré. Le palais était entouré d'un jardin plein de fleurs où chantaient des oiseaux. La princesse Marie et Emilien entrèrent dans le palais et se mirent à la fenêtre.
- Mon cher Emilien, ne pourrais-tu donc devenir un beau jeune homme?
Emilien ne réfléchit pas longtemps:
- De par la volonté de messire Brochet et selon mon bon plaisir, que je devienne un beau jeune homme, le plus beau qui existe. Et Emilien devint si beau, si beau... qu'on ne peut ni le dire, ni le décrire. Le roi justement était à la chasse. Soudain, il aperçut un palais là où auparavant il n'y avait rien.
- Quel est le malappris qui, sans ma permission, a osé construire un palais sur mes terres?
Et il envoya demander à qui appartenait ce palais. Les envoyés accoururent près de la fenêtre et demandèrent à qui appartenait ce palais. Emilien leur répliqua:
- Dites au roi qu'il vienne me rendre visite, et je lui répondrai moi-même.
Le roi vint donc lui rendre visite. Emilien l'accueillit, le fit entrer dans le palais et l'installa à table. Ils se mirent à festoyer. Le roi mangea, but et s'étonna:
- Qui es-tu donc, brave jeune homme ?
-Te souviens-tu d'Emilien-le-bon-à-rien? J'étais venu chez toi, monté sur mon poêle, et toi, tu as ordonné qu'on m'enferme dans un tonneau avec ta fille, et tu nous as fait jeter à la mer. C'est moi, Emilien. Si je veux, je peux incendier et dévaster tout ton royaume. Le roi fut fort effrayé et se mit à demander pardon :
- Epouse ma fille, Emilien, prends mon royaume, mais ne me fais pas mourir !
On organisa alors un festin magnifique. Emilien épousa la princesse Marie et gouverna le pays. Voici la fin de mon récit. Qui l'a écouté a bien fait.