Il y avait une fois un paysan ; chez ce paysan vivait un chat si méchant que tout le monde le détestait ; le paysan le prit en dégoût. Il se mit à réfléchir, fourra le chat dans un sac, le lia, l’emporta dans le bois, et l’y perdit ; il pensait que le chat crèverait. Celui-ci, après avoir longtemps marché, rencontra une cabane, celle du forestier. Il monte sur le toit, il se couche, et, quand il a faim, il va chasser dans le bois les souris et les oiseaux ; une fois repu, il remonte sur le toit et vit sans souci.
Une fois, messire chat était allé se promener dans la forêt ; il rencontra Mllerenard[1]. Elle fut tout étonnée à son aspect.
— Voilà, pensa-t-elle, bien des années que je vis dans le bois, et je n’ai jamais vu pareille bête.
Elle salua le chat et lui demanda :
— Dis-moi, beau jeune homme, qui es-tu ? Par quel hasard es-tu venu dans nos forêts, et de quel nom faut-il t’honorer ?
Le chat hérisse son poil et dit :
— J’ai été envoyé des forêts de Sibérie pour remplir ici les fonctions de bourgmestre ; on m’appelle Kotofeï[2] Ivanovitch.
— Ah ! Kotofeï Ivanovitch ! Je ne savais rien de ton existence. Fais-moi l’honneur de venir dîner chez moi.
Le chat alla dîner chez Mlle renard ; elle lui servit du gibier de toute sorte, et demanda :
— Kotofeï Ivanovitch, es-tu marié ou garçon ?
— Garçon, répondit le chat.
— Et moi, je suis demoiselle ; épouse-moi.
Le chat consentit. Il y eut noces et festins.
Le lendemain du mariage, Mme renard partit aux provisions pour avoir de quoi vivre avec son jeune mari ; le chat resta à la maison.
Mme renard rencontra le loup. Il se mit à lui faire la cour :
— Qu’es-tu donc devenue, ma commère ? Nous avons visité tous les terriers et ne t’avons point trouvée.
— Ne sais-tu pas, imbécile, que je suis maintenant mariée ?
— Qui as-tu épousé, Lisaveta Petrovna ?
— D’où viens-tu ? Ne sais-tu pas que des forêts de Sibérie on nous a envoyé un bourgmestre, Kotofieï Ivanovitch ? Je suis maintenant la femme du bourgmestre.
— Non, je n’en savais rien. Peut-on voir ton mari ?
— Oh ! Kotofeï Ivanovitch est d’un tempérament terrible. Celui qui ne lui plaît pas, il le dévore. Apporte d’abord un agneau, en signe d’hommage ; dépose l’agneau, et cache-toi de peur qu’il ne te voie. Sinon, gare à toi !
Le loup courut chercher un agneau.
Mme renard continue son chemin ; l’ours la rencontre et commence à lui faire la cour :
— Que me veux-tu, boiteux Michka ? je suis maintenant mariée.
— Qui as-tu épousé, Lisaveta Petrovna ?
— Un bourgmestre qu’on nous a envoyé des forêts de Sibérie ; il s’appelle Kotofeï Ivanovitch.
— Ne pourrait-on le voir, Lisaveta Petrovna ?
— Oh ! Kotofeï Ivanovitch est d’un tempérament terrible. Celui qui ne lui plaît pas, il le dévore. Va-t’en, prépare un taureau, et apporte-le-lui en hommage ; le loup doit apporter un agneau. Fais bien attention ! dépose le taureau, et prends garde que Kotofeï Ivanovitch ne te voie. Sinon, gare à toi !
L’ours alla chercher un taureau.
Le loup avait tué un agneau ; ensuite il l’avait écorché et s’était mis à songer. Voici tout à coup l’ours qui traîne après lui un taureau.
— Salut, mon frère Michel Ivanovitch.
— Salut, frère Léon. N’as-tu pas vu dame renard avec son mari ?
— Non, frère, il y a longtemps que j’attends.
— Va-t-en ; appelle-la.
— Non, je n’irai pas, Michel Ivanovitch ; vas-y, toi, tu es plus hardi que moi.
— Non, frère, je n’irai pas.
Tout à coup passe un lièvre en courant. Le loup l’appelle :
— Viens ici, diable louche.
Le lièvre, épouvanté, accourut.
— Sais-tu, drôle, sais-tu où vit Mme renard ?
— Je le sais, Michel Ivanovitch.
— Cours bien vite, et dis-lui que Michel Ivanovitch et son frère, Léon Ivanovitch, sont depuis longtemps prêts, qu’ils l’attendent avec son mari et veulent lui offrir un agneau et un taureau.
Le lièvre prit ses jambes à son cou.
Le loup et l’ours, eux, songeaient à se cacher. L’ours dit :
— Je grimperai sur un sapin.
— Et moi, que ferai-je ? demanda le loup. Je ne suis pas capable de grimper sur un arbre. Je t’en prie, dis-moi où me cacher.
L’ours le cacha dans les broussailles, le recouvrit de feuilles sèches, grimpa lui-même sur un sapin, tout en haut, et se mit à regarder si Kotofeï ne venait point avec Mme renard.
Pendant ce temps-là, le lièvre avait couru au terrier de Mme renard et lui avait annoncé que le loup et l’ours l’attendaient avec leurs présents.
Voici messire le chat qui se met en marche avec Mme renard. L’ours les voit, et crie au loup :
— Frère, voici dame renard et son mari ; qu’il est petit !
Le chat, à peine arrivé, se jette sur le taureau ; ses poils se hérissent ; il arrache la chair avec ses dents et ses griffes ; il pousse des grognements de colère.
— C’est peu, dit-il, c’est peu !
— Quoi ! s’écrie l’ours, si petit et si glouton ! Nous ne mangerions pas un taureau à nous quatre, et c’est trop peu pour lui !
Le loup voulut voir ce que faisait Kotofeï Ivanovitch. Il écarte légèrement les feuilles qui lui couvraient les yeux. Le chat entend les feuilles remuer ; il croit que c’est une souris ; il s’élance, et enfonce ses griffes dans le museau du loup. Celui-ci détale sans demander son reste.
Le chat, de son côté, a peur, et se jette sur l’arbre où l’ours se tenait.
— Il m’a vu, pense l’ours.
Et il dégringole quatre à quatre, tombe par terre, se foule la rate, ressaute sur ses pattes, et court encore…
Et Mme renard criait :
— Il va vous en donner ! Attendez ! Attendez !
Depuis ce temps, tout les animaux eurent peur du chat ; maître chat et dame renard eurent une belle provision de viande pour leur hiver. Ils se mirent à jouir de la vie ; ils vivent encore aujourd’hui et ne cessent de faire bonne chère.