CHAPITRE 1~1

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Mercredi 15 février 2017

Si je devais parler de moi, je baisserai les yeux et resterai muet. Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne suis pas fier de la vie que j'ai commencé à mener. Je ne suis pas le premier de la classe et dans la cour de l'école, je suis seul. Je suis le genre de garçon discret qui ne veut pas attirer l'attention. Je fais partie de ceux qui se cachent du regard des autres, de ceux qui esquissent un léger sourire pour ne pas inquiéter le monde qui l'entoure, mais je suis avant tout de ceux qui pleurent sous les coups tous les soirs. Bienvenue dans mon monde et mon quotidien.

Je sais bien que ce journal ne me sauvera jamais la vie et que je devrais parler de tout cela à quelqu'un, mais je n'en ai pas le courage. Alors je suis là à raconter mes journées qui se ressemblent sur un bout de papier. Mis à part le fait que j'ai ce journal que je tiens, j'écris quelque histoire pour me changer les idées. Au travers de ces récits, je me divertis et me soulage. Parce que oui, ça me soulage d'écrire : j'ai cette impression de vivre et revivre éternellement au sein de ce cahier de nouvelle, comme si rien ne m'était interdit. Pour une fois dans ma misérable existence, j'ai le pouvoir sur ce que je fais. Je ne suis pas soumis à des ordres que je dois exécuter. Lorsque j'écris ces lignes, je suis maître de moi-même. Si seulement je pouvais écrire ma propre histoire et peux être changé le court des choses.


Jeudi 16 février 2017

Aux yeux des autres, je me dis comme étant « enfant » mais au fond, je sais bien qu'il n'en est rien. J'ai été forcé à choisir, crois-moi. Avec tout cette violence, soit je restais éternellement immature pour me faire croire que tout n'est qu'un jeu ou bien alors je devenais adulte bien avant l'heure tout en faisant de mon mieux. J'ai donc pris ma vie en mains, j'ai mûri bien plus vite que les autres, je n'avais pas le choix. Maintenant pour moi, c'est soit pile, soit face, il ne reste plus qu'à prier que mon pari soit gagnant. Finalement, ça reste bien un jeu, mais ici, si je perds, je ne pourrais pas recommencer la partie, ça sera la fin du jeu sans retour à la case départ.

Vendredi 17 février 2017

Troisième jour d'école. Ce matin, ma mère était déjà en train de tituber dans le salon tandis que mon père dormait sur le canapé, une bouteille à la main. Je suis donc vite parti à l'école le ventre vide comme à mon habitude ne voulant pas croiser leurs regards.

En plus des coups au visage, des cicatrices à la bouche et des bleues colorant mon corps, je souffre aussi de malnutrition par mes parents irresponsables. Heureusement pour moi, je bénéficie du repas de la cantine par je ne sais quel miracle. Je ne sais d'ailleurs toujours pas comment je peux avoir un toit sur la tête avec des parents qui sans travailler, boivent de jour comme de nuit.

Je suis donc seul, perdu et face à une vie qui ressemble à celle de tant d'autres enfants semblables à moi-même. La différence étant que je ne parle pas, jamais. Je reste toujours silencieux. Les instituteurs ne m'interrogent même plus et les élèves en font de même. Suite à cela, je dois voir la psychologue de l'école une fois par semaine mais cela ne change pas ma façon de vivre. Les rendez-vous durent une heure et cette dernière s'écoule dans le silence total. Je fixe la femme pendant que le temps passe et elle fait de même avec un regard compatissant comme si je venais de lui livrer tout ma vie alors que non. Chaque année était comme cela, je rentrais en classe et après quelques jours de cours, je recevais une convocation pour aller voir l'infirmière. J'espérais que cette dernière année de primaire allait être épargnée par ce supplice que je subissais, mais non. Tout se ressemble et se poursuit. Tout comme l'horreur familiale que je subis depuis la naissance. Voilà donc 10 ans que l'on me pousse, 10 ans que l'on m'insulte et 10 ans que l'on me frappe à coup-de-poing.


Samedi 18 février 2017

Contrairement au monde entier, je déteste le week-end et je trouve cela plutôt cohérent vu l'atmosphère dans laquelle je grandis. À chaque fois, je sors par la petite fenêtre de la salle de bain et marche jusqu'au kiosque à musique sur la place des cocotiers. J'étais forcé à sortir par là car le fait de croiser l'un ou l'autre de mes parents m'expose à un possible danger physique. Je suis donc sorti avec mon cahier d'histoire et un stylo. Je me sens bien plus en sécurité à l'extérieur que chez moi.

Je me cache derrière mes cheveux la plupart du temps. Je les laisse pousser pour me créer comme une barrière contre toutes ces attaques des autres. Pourquoi j'en viens à écrire cela ? Je n'en ai absolument aucune idée. À vrai dire, j'écris tout ce qui me passe par la tête pour compenser le fait que je ne parle pas. D'ailleurs, je ne sais pas moi-même pourquoi je reste muet. Je ne sens pas la nécessité d'exprimer un quelconque avis sur une société qui façonne des personnes qui sont prêtes à battre leurs propres enfants. Oui, je suis entièrement révolté par ce que je subis de jour en jour, mais j'ai fait plus de la moitié du chemin. Il ne me reste que huit ans avant ma majorité et je pourrai enfin quitter cette « famille » légalement. Parfois, je pars de « chez moi » pour changer d'air. Je me promène alors dans les rues le soir le temps que mes parents s'endorment sous l'effet de l'alcool.

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Début d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant