Chapitre 1 ~4

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Mardi 28 février 2017

Rien que de savoir que je ne la verrai pas aujourd'hui me change complètement. J'ai l'impression d'être une personne que l'on n'a pas forcément envie d'apprécier, ni même d'approcher. Finalement, je suis une personne sans importance et sans identité. Sans elle, je ne suis qu'une personne qui subit sa propre vie, qui reste bloquée dans un mélange de passé et de présent, sans avoir accès à un futur plus plaisant.

Mercredi 1er Mars 2017

Je suis parti la voir. Je suis parti sans la protection qu'est mon journal. Je me suis montré comme étant plus vulnérable que jamais. Je lui fais et lui ferai entièrement confiance. J'ai réussi à lui parler, à lui ouvrir mon cœur pour qu'elle puisse lire mon histoire comme dans un livre ouvert. J'ai réussi et j'en ai pleuré. J'ai lâché toute la peine que j'avais, toute la rancœur que je pouvais avoir. J'ai pleuré en me sentant libéré comme si elle venait de briser les chaînes que je traînais depuis des années. Je sentais comme un avant-goût de liberté. C'est après un énième souffle, une énième larme et un énième regard que je me retrouvai dans ses bras, blottis au plus près de son cœur. J'ai comme trouvé ma place. Biologiquement ce n'est pas ma mère, mais au fond de moi elle l'est.

Jeudi 2 Mars 2017

Mes bleus commencent à partir au fil du temps. Et si c'était la fin ? Je veux changer de vie et je vais sans doute bientôt l'avoir. Quand je suis parti voir la seule femme que je considère comme ma mère, j'ai préféré lui parler plutôt que de tout écrire dans ce journal. Même si les dialogues que j'écris s'achèvent, je continuerais à tenir ce journal. Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne me vois pas arrêter d'écrire.

Vendredi 3 Mars 2017

Mes journées se ressemblent, c'est affreux, je ne sais même plus quoi écrire pour combler le blanc de ces pages. J'ai l'impression de sans cesse me répéter, comme si ma vie n'était en fait qu'un méchant cercle vicieux cherchant à me faire plonger dans les ténèbres les plus profondes.

Samedi 4 Mars 2017

Si j'étais un enfant normal, je jouerais sur les genoux de mon père. Si tout était simple, je serais attaché à ma mère. J'aurais une vie sans étincelles avec un avenir qui aurait tout pour plaire. Tout aurait pu devenir de plus en plus clair, mais il faut croire que cela ne soit en réalité qu'un enfer...

L'opposé de ceci est plutôt d'actualité, je me plis sous les coups réguliers. Chaque soir, je tente de ne pas crier. Pourquoi lutter si l'on ne peut gagner ?

Dimanche 5 Mars 2017

Mes émotions sont semblables à des montagnes russes : un coup de tristesse suivi d'une quasi-crise d'euphorie... Tout cela rythme mes journées.
Madame Macan, ma psychologue est une personne spéciale. C'est comme si je n'avais pas besoin de parler pour qu'elle me comprenne. Elle arrive à mettre les mots sur ce que je ressens, alors que moi-même je ne sais ce qu'il se passe en moi.

Lundi 6 Mars 2017

J'ai écrit une lettre pour lui dire, tout lui avouer. Je lui ai déjà fait comprendre quelques petites choses lors de nos rendez-vous, mais aujourd'hui, je veux lever le voile sur toute mon histoire et toutes mes pensées. Je l'ai écrite sur une feuille à part de ce journal mais je recopie le contenu du message pour en garder une trace. Bon, je me lance :

« Maman, euh non madame !

À vrai dire, mon esprit a de plus en plus de mal à ne pas vous considérer comme cette femme qui vous aime en toutes circonstances. Votre attitude est semblable à celle d'une femme qui aime et qui protège son enfant. Alors dîtes-moi, pourquoi vous êtes vous comporté comme cela avec moi ? J'ai, depuis le début, ressenti comme quelque chose de différent chez vous, comme si vous me compreniez instantanément. L'avez-vous fait exprès ? Était-ce pour me rassurer ou alors était-ce involontaire, comme une pulsion incontrôlable ? Suis-je différent des autres enfants à vos yeux ? Ai-je ne serait-ce qu'une petite chance de vous imaginer comme ma mère ? Je m'excuse, toutes ces questions se bousculent dans ma tête à la recherche de réponses. Revenons à l'objectif premier de cette lettre : mon histoire. Jusque-là, je ne vous ai pas menti, après tout, ne pas dire des choses ne signifie pas que cela fait partie d'un mensonge. Disons que j'ai « survolé » le sujet sans entrer dans de profonds détails. Je n'ai aucune raison de ne pas vous avoir tout dis, à moins que je doutais peut-être de votre sincérité... Je m'excuse si parfois mon insensibilité vous touche. Comprenez que mon histoire m'a changé à jamais. On n'a pas arrêté de me rabâcher le fait que je n'étais pas désiré, que ma naissance était une « erreur de parcours ». Alors comment dois-je grandir avec confiance en sachant cela ? Depuis le jour où j'ai crié pour la première fois, le 11 septembre 2005, on me reproche d'avoir été conçu et de respirer. Par la suite, je n'ai fait que pleurer sous les coups de mon père et le regard perdu de ma mère. Le pire, c'est qu'après tout cela, je dois être un enfant « normal » à vos yeux ? J'ai décidé de ne pas respecter ces normes imposées, je voulais voir à quel point mes problèmes familiaux allaient me faire dévier de la normalité, mais je me suis tellement laissé porter par cette vague de conflits, que je ne sais plus comment remonter le courant pour atteindre le seuil de normalité. Tout cela est très confus dans ma tête, à vrai dire, j'oublie de plus en plus de choses, c'est aussi pour cela que j'ai commencé à tenir ce journal. Je ne sais si je dois vous demander de l'aide... Cela n'a plus aucun sens...

Alors oui, je sais que tout cela peut paraître atroce, mais il est encore plus difficile de faire le deuil de son passé en sachant que des fantômes envahissent le présent. J'ai parié sur le fait que j'allai succomber à cette vie, mais nous verrons bien ce que me réserve le destin. J'aimerais échouer à ce jeu, perdre ce stupide pari que j'ai fait avec la vie, pour pouvoir enfin goûter au présent. Malheureusement, un retour à la normal me fait tout aussi peur que de rester bloqué dans cet enfer. J'ai peur de cette nouvelle vie : n'ayant connu que l'horreur, j'en viens à avoir peur du bonheur, je trouve cela fou ! Alors dîtes-moi, que dois-je faire ? Dois-je sortir de cette vie ou bien continuer et attendre la mort ?


Au final, je n'ai pas tant argumenté sur le fait que ma vie n'a pas été comme le commun des mortels, mais j'ai plutôt évoqué mes peurs qui me rongent petit à petit. Je vais alors clôturer ce long message par une phrase dont j'aimerais que vous vous rappeliez : je suis un enfant sans enfance mais je ne suis pas un adulte sans avenir. »

Mardi 7 Mars 2017

Je suis rempli d'espoir de changement. Je veux modifier le cours de ma vie et je vais peut-être y arriver. Plus je vois la seule femme que je considère comme ma mère, moins j'écris sur ce cahier à propos de nos discussions. Je suis comme envoûté par ses paroles.

J'ai enfin retrouvé un intérêt à me lever le matin, du moins, un autre que la peur d'être battu. Je sens la joie monter en moi à l'idée que toute ma vie allait bientôt changer.

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Début d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant