Chapitre 51

8.8K 663 576
                                    

Il est neuf heures quand Maurice débarque chez nous. Mon père descend de l'arrière de la voiture, à moitié bourré : il rentre de son week-end de dévergondage. Avec mes frères, nous l'accueillons dans la cuisine.

— Vous êtes prêts à dégager, les maques* ? articule-t-il avec peine à notre intention.

En détaillant l'état dans lequel il est, j'en viens à douter qu'il ait une meuf dans sa vie ; j'abandonne également l'idée qu'il se soit rendu aux putes. Il a simplement dû partir se déchirer la gueule pendant trois jours... Il titube autour de l'îlot de la cuisine à la recherche des capsules de café. Paulo me sort de mes pensées en posant sa main sur mon épaule :

— Ton sac ?

— C'est bon, il est prêt !

— Va le chercher !

— Ouais...

Après avoir longtemps débattu sur celui qui prendrait la place de devant, mes frères se sont rapidement résignés à l'idée qu'il valait mieux que ce soit moi. Aucun des deux n'est en mesure de me supporter en train de gigoter à ses côtés durant les neuf cents kilomètres que nous devons parcourir pour atteindre Nice.

Nous roulons dans le vieux Zafiradéfoncé de Maurice. Je suis assis à la place du copilote et il va s'en souvenir toute sa vie... Bien que ligoté par la ceinture de sécurité, je suis incapable de rester calme en voiture. Malgré quelques décontractants, je ne ferme jamais un œil. Pour couronner le tout, notre chauffeur écoute Radio Trafic, la station la plus glauque de tous les temps, celle qui te signale les bouchons ou les accidents en direct.

Bref, nous n'avons pas encore passé Bordeaux que je me fais chier. Et si je me fais chier, je fais chier les autres...

— Yo Maurice, accélère, vieux ! On n'est pas arrivés, à ce rythme ! je lance en tapotant le tableau de bord.

— Tu vas pas commencer à m'emmerder, dors !

— C'est ça ! j'approuve en fouillant dans sa boîte à gants qu'il tente de refermer en conduisant. T'as signé pour nous transporter, t'as signé pour en baver !

Mes deux frères se sont déjà endormis à l'arrière et ne donnent plus signe de vie. Je n'ai que Maurice pour me tenir compagnie.

— Vas-y Maurice, tu peux doubler, je gueule alors qu'il se décale sur la voie de gauche. Allez, allez, allez ! Ouais !!!

— Ta gueule, Tonio !

J'ai la sensation qu'il perd déjà patience.

— Allez, le camion, maintenant !

— Mais tu peux pas te taire ?

— Chauffeur, si t'es champion, appuie ! Appuie ! Chauffeur, si t'es champion, appuie sur le champignon ! je chante, histoire de le pousser à bout pour qu'on en finisse au plus vite avec ce long trajet. Pour Maurice ? Ouais !

— Non, mais t'as pas des jeux sur ton bordel ? me demande-t-il en indiquant ma tablette.

— Sur mon IPad?

— Oui !

— Ah, non ! J'ai pas le droit, je suis addict aux jeux vidéo, ça me rend fou !

— Oh, mais j'ai jamais vu aussi cinglé que toi !

Après une courte pause dans une aire d'autoroute où Maurice me menace dix fois de m'abandonner si je ne reste pas tranquille, nous repartons pour le pèlerinage en enfer.

— Je peux conduire ? je propose naturellement avant de remonter dans la voiture.

— T'es malade ! refuse illico notre chauffeur en s'installant rapidement au volant. Et tu fumes pas dans ma voiture ! Ça pue et tu vas cramer mes sièges !

— Alors laisse-moi conduire ! je supplie en terminant ma cigarette avant que le véhicule démarre.

— Tonio, arrête de l'emmerder ! soupire Paulo, installé sur la banquette arrière.

Je commence à le gonfler sérieusement lui aussi, tellement bien qu'il ressort de l'habitacle pour écraser ma clope et m'enfourner sur le siège avant.

— Je te passe les vitesses, alors ! je conclus en m'accrochant au levier que Maurice finit par me céder.

— Si tu veux ! Vas-y ! Fais-toi plaisir et surtout, fous-moi la paix !

— Cool ! En plus, je suis gaucher, donc elles sont bien placées !

C'est ainsi que nous mettons quasiment deux jours à arriver jusqu'à Nice. Nous faisons deux étapes chez des potes de Maurice et mon père, et je n'en peux plus de tous ces kilomètres interminables... mais ce n'est rien quant à ce qui m'attend en arrivant au camping choisi par ma tante.

Le petit mobil-home est placé au fond d'une allée symétrique aux autres ruelles. Sur la terrasse, accoudées au salon de jardin, mes trois cousines sont penchées sur leur portable. Clotilde lève la tête la première et nous reconnaît aussitôt. Elle met un coup de coude à sa fausse jumelle, Louise, qui ne lui ressemble en rien.

"Clo" est blonde avec des cheveux épais et lisses, et de grands yeux bleus, alors que son double, "Lou", est brune et bouclée avec des yeux noirs. Mis à part cette différence, elles ont la même taille et la même stature. Comme Max, ce sont des 2001 !

— Tiens, les voilà ! crie Clo avec son accent du Sud. Ce qui me rappelle que nous avons longtemps été voisins.

Ma tante habitait mon village avant son divorce. J'ai passé toute mon enfance avec mes cousines. Nos deux familles étaient très proches et ça a laissé des liens très forts que nous aimons entretenir.

— Maman, hurle Laura.

C'est la plus jeune de mes cousines, elle a mon âge, mais c'est la plus grande des trois en taille.

— C'est pas trop tôt ! soupire ma tante en sortant du mobil-home.

Elle porte son maillot une pièce trop serré pour elle. Les mains sur ses larges hanches, elle a son air renfrogné.

— Je vous attendais hier ! Oh putain, Tonio, t'as grandi depuis Noël ! Allez, sortez vos sacs ! Vous avez une tente à monter !

J'ai peut-être changé, mais ma tante, elle, n'a pas changé d'un sou...

Bienvenue en enfer !

*terme local pour désigner les enfants.

SPEED (Terminé) Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant