Chapitre 5 - Une virée à la campagne

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En quittant le quartier où nous habitons les rues sont désertes, à ce moment précis je n'ai pas l'impression que nos vies ont été bousculées à un tel point, qu'il y a à peine un mois, tout était encore normal, mes seules préoccupations étaient de m'amuser, de rencontrer des filles et de préparer notre voyage prochain en Australie. Aujourd'hui tout a changé, et pourtant on ne le dirait pas d'après ce que je vois sur la route en partant, juste un abandon des rues en ce début de nuit. Cependant, dehors, les premiers changements sont déjà visibles au niveau de l'éclairage, la ville est très lumineuse, pas une route ne reste dans le noir, pour la conduite c'est agréable. Cela renforce aussi la sensation de sécurité. En revanche peu de lumières aux fenêtres des riverains. Lorsque je quitte finalement Nantes, les routes sont presque désertes là aussi, l'éclairage se montre de moins en moins présent, mais il y a tout de même des bases mobiles de l'armée au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la ville pour filtrer les allées et venues, avec à chaque fois un contrôle des papiers d'identité, de l'état de santé visible et des interrogatoires sur les raisons du voyage. J'ai déjà été contrôlé deux fois depuis mon départ, à chaque fois on m'a répété à peu près le même charabia « la campagne ? Il n'y a plus personnes là-bas, les gens ont été fortement incités à venir en ville, seuls les fous ont pu décider d'y rester, l'avenir se passe dans les villes, toute la vie alentour n'aura pas les capacités pour survivre, revenez au plus vite ! ». J'espère qu'il y en aura moins quand je me serai véritablement éloigné de la ville, c'est agaçant d'être contrôlé comme un criminel et de devoir se justifier toutes les cinq minutes. Et puis cela me fait perdre un temps fou. D'ici quinze à vingt minutes je devrai atteindre la station-service qui constitue la première étape de mon plan. Pour m'occuper en attendant, j'allume la radio pour rompre ce silence pesant. Il est très difficile de trouver une station encore active, surtout à cet horaire, finalement après quelques minutes à chercher manuellement je tombe sur une fréquence qui émet, les gens parlent en anglais, je comprends au bout de quelques secondes qu'ils sont basés à Londres, ils font un constat de l'évolution mondiale de la situation. C'est une chance car nous n'avons déjà quasiment plus d'informations, et pour ce qu'il se passe ailleurs que chez nous on ne sait absolument rien, j'écoute attentivement ce que l'individu énonce. Il s'agit d'un ancien journaliste anglais qui grâce à des émissaires un peu partout sur la planète, continue de collecter les informations et les diffuse quotidiennement sur sa fréquence radio de manière clandestine. « Le monde moderne tel que nous le connaissons a disparu, cette catastrophe a changé les règles du jeu, la situation mondiale est dramatique. Les pays sont touchés de manières différentes et essaient de s'adapter avec leurs moyens et de façons quasi autonomes, il n'y a presque plus de coopération mondiale, mis à part entre les gouvernements des grandes puissances sur les principales mesures à adopter pour préserver la vie du plus grand nombre face à l'apocalypse qui se présente. Ainsi les grandes nations économiques ont décidé de sacrifier les personnes les plus fragiles ou les plus contraignantes de la communauté, dans un but d'économie de ressources et de temps. Par exemple, nous savons de sources sûres que tous les prisonniers et criminels d'Angleterre, d'Allemagne, de France, d'Italie, de Chine, du Japon et des Etats-Unis ont été exécutés. En Angleterre et en France les hôpitaux ont été fermés, tandis qu'aux Etats-Unis, au Japon et en Allemagne les mesures ont été plus extrêmes puisque toute personne n'étant pas en parfaite santé ont été exécutées également. Nous manquons d'informations pour les autres pays à ce sujet. Cependant nous savons qu'une très forte épidémie de grippe a frappé les pays d'Asie du sud et d'Afrique. Les températures étant beaucoup plus faibles ont permis la propagation de la maladie auprès de populations habituées à des températures chaudes en permanence. Cette grippe est d'une virulence très forte et décime les habitants de ces régions, c'est un type de virus qui n'avait encore jamais été observé et dont aucun vaccin ou médicament semble capable de le guérir ou l'éradiquer. Le nombre de décès est extrêmement conséquent et on compte les morts par dizaines de millions, voir centaines de millions. Les instances sanitaires sont dépassées et ces pays aux ressources limitées, aux mesures d'hygiène défaillantes et considérés comme pays en développement sont démunis face à cette calomnie comme le monde n'a plus connu depuis les épidémies de peste au moyen-âge. Enfin, la dernière information majeure que nous pouvons vous transmettre est la situation en Russie. Ce pays déjà habitué aux températures froides a été moins confronté aux difficultés apportées par cette disparition soudaine et progressive de chaleur. Cependant il s'est passé des évènements politiques graves. L'état a été renversé par des membres du groupuscule terroriste Chaos qui dirige maintenant le pays et entreprends la transformation de celui-ci de la même manière que les autres puissances. A la différence que les gens sont invités à quitter les villes et le pays par la force et seule une faible proportion de la population est sélectionnée et conservée pour selon eux bâtir la communauté de demain qui saura vivre sur cette planète. Là-bas aussi donc le nombre de morts est énorme, déjà une vingtaine de millions de personnes tuées selon nos estimations, et plus de cinquante millions ayant quitté le pays. Au total dans le monde et selon nos calculs, déjà plus de trois cent millions de personnes sont mortes depuis le début de l'extinction, principalement de la grippe, puis d'assassinats liés aux gouvernements ou non et également de décès liés aux exodes, soit environ quatre pourcent de la population mondiale. Voilà le triste constat que nous faisons, cela vient clore notre retransmission du jour, nous ferons un nouvel état des lieux dès demain à la même heure comme chaque jour. D'ici là, prenez soin de vous et vos proches, et que Dieu nous vienne en aide. ».
Quelle horreur, et moi qui espérais que les choses étaient en meilleur état ailleurs, au final je me rends compte que nous ne sommes pas les plus à plaindre, comment allons-nous faire face à tout cela, y-aura-t-il une issue positive ? J'en doute, enfin j'ai d'autres choses à faire pour l'instant plutôt que de penser à l'avenir lointain. J'éteins la radio en restant sur cette fréquence et je fais l'effort de retenir l'horaire d'une heure quarante-cinq qu'il est afin de pouvoir m'informer de nouveau une prochaine fois. Le temps est passé et j'arrive maintenant à la station-service, il y a quand même sept ou huit véhicules devant moi, malgré l'heure qu'il est et le fait que nous sommes relativement éloignés du centre-ville. Finalement je patiente environ trente-cinq minutes, ce qui est tout à fait acceptable. En plus, coup de chance, la limitation est de cent cinquante litres, je commence donc par faire le plein du réservoir de soixante litres du quatre-quatre, sachant qu'il en reste une dizaine, puis je remplis les trois bidons, pour un retrait total de cent-trente-huit litres. Il y a aussi une réserve de conserves au sein de la station, j'en profite alors pour acheter une quarantaine de boîtes, ce ne sera jamais trop. Sachant que le litre d'essence est monté à six euros, et qu'une conserve coûte environ cinq euros désormais, je m'en tire pour quatre mille trois cent quarante euros, payables uniquement en liquide, seule mode de paiement encore valide à ce jour. De toute façon comme la majeure partie des gens, nous avons retiré tout l'argent que nous avions à la banque, menant à la banqueroute de la plus part de celles-ci. Ainsi nous avons plusieurs centaines de milliers d'euros à l'appartement, même si nous savons très bien que cela ne vaudra bientôt plus grand-chose et que le troc viendra très probablement remplacer cette monnaie fiduciaire. J'avais emmené avec moi vingt-mille euros en billets de dix, vingt et cinquante, le compte est bon pour ces achats forts utiles. Après avoir réglé ma transaction, je reprends la route vers mon second arrêt prévu : chez mes grands-parents.

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