Nos premiers pas

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Sous un large préau envahi par les ombres, elle se pelotonnait sur un banc. Elle percevait un grondement, de prime abord distant, qui, toutefois, s'approchait de plus en plus. Bientôt la jeune fille vit affluer une marée d'élèves dont le brouhaha rugissait, s'écrasant, pareil à des flots déchaînés contre les murs gris de l'école. Vêtus de leur uniforme bien repassés, ils s'engouffrèrent au cœur du bâtiment massif. Elle se mit debout. C'était la rentrée.

Assise à la même place que l'an passé, elle grattait le bois abîmé du bout de l'ongle. Le professeur se raclait la gorge en rassemblant ses documents, tandis que les étudiants poursuivaient leur bavardage étouffé. Soudain, la porte s'ouvrit : une jeune fille apparut, les joues rouges et le souffle court.

"Bonjour ! Excusez-moi du retard !"

- Asseyez-vous, grommela le professeur.

D'un hochement de tête, elle le remercia, puis se précipita dans la rangée en bousculant des livres et bureaux de ses hanches.

"Pardon, pardon !" répétait elle en se confondant en excuse. Elle tomba sur sa chaise dans un gros soupir en remettant en place ses mèches brunes. L'appel révéla qu'elle s'appelait Alicia.

La récréation de dix heures tira les jeunes gens de leur endormissement. C'était la rentrée, mais déjà, des groupes se formaient. Filles, garçons, certains sortirent de la classe, d'autres y restèrent, mais seule Alicia ne trouva personne à aborder.

La jeune fille l'observait, elle paraissait si gênée, complètement perdue. Pourtant, de prime abord, elle avait l'air gentille. Elle parcourut la classe du regard : il y avait ça et là, d'autres jeunes à l'allure sympathique. Une fois lancée, elle parviendrait certainement à s'intégrer. Elle se leva et d'un geste discret, renversa la trousse qui se trouvait un bureau après celui d'Alicia. Immédiatement, celle ci s'agenouilla pour la ramasser. Une seconde fille l'imita. Elles échangèrent un sourire, puis, furent remerciées par la propriétaire de la trousse.

La jeune fille, satisfaite, se rassit en apercevant le professeur qui revenait.

Midi délivra les estomacs affamés, les enfants coururent à la cafétéria qui se trouvait un étage en dessous de leur salle de classe.

La jeune fille avançait aux côtés d'Alicia qui jouait des coudes. Armée de son plateau, elle s'arrêta à l'entrée du réfectoire, complètement perdue face à la mer d'élèves. La jeune fille scruta les visages pour finalement trouver le groupe avec lequel elle avait mit Alicia en contact. L'une d'entre elle était emmitouflée dans sa polaire, une écharpe autour du cou, elle reniflait.

La jeune fille observa les environs pour réaliser qu'elle se trouvait sous la climatisation, éteinte. Rapidement, elle gagna l'interrupteur et la mit en route. L'effet fut immédiat, la fille grimaça aussitôt en reposant sa fourchette.

"Il fait tellement froid... Je vais sortir."

-C'est la clim, observa son amie, tu veux qu'on échange de place ?

-Non ça va, je n'ai pas faim de toute façon.

Elle quitta sa chaise, ce qui attira l'attention d'Alicia. Reconnaissant les visages familiers, elle s'avança vers la tablée. La malade lui proposa son siège et toutes l'accueillirent avec amabilité. De loin, la jeune fille surveillait Alicia du coin de l'œil. Elle passa la pause en compagnie du groupe au centre de l'immense cour peuplée d'élèves. Elle se montrait encore réservée, mais possédait de quoi se faire apprécier.

Les cours reprirent à treize heures. Alicia se révéla être une élève attentive et impliquée. Quelques bureaux plus hauts, la jeune fille tendit l'oreille. L'une des camarades d'Alicia se plaignait d'avoir oublié son parapluie alors que la pluie tambourinait au dehors.

Saisissant l'occasion, la jeune fille rédigea discrètement un petit mot sur lequel elle inscrivit la plainte de l'élève en question en signant comme s'il venait d'elle. Puis, elle jeta le petit mot sur la table d'Alicia. Celle ci finit par remarquer le papier et l'ouvrit. Puis, elle regarda sa camarade avant de chercher quelque chose dans son sac.

La jeune fille la vit sortir un petit parapluie à pois.

A dix sept heures, la sonnerie marqua la fin des cours pour tous. Alors que le groupe des filles discutait dans le couloir, Alicia s'approcha d'elle, son parapluie à la main. Elles se saluèrent avant de quitter le bâtiment scolaire pour emprunter différentes voies.

La jeune fille, depuis le couloir, vit Alicia tapoter timidement l'épaule de sa camarade sans parapluie. Sans entendre avec exactitude la teneur de la discussion, elle remarqua le grand sourire qui illumina le visage de la demoiselle. Elle saisit le bras d'Alicia et toutes deux quittèrent l'enceinte de l'école.

La jeune fille les suivit du regard jusqu'à ce qu'elles disparaissent de son champ de vision. Il pleuvait à verse, le clapotis des gouttes contre le sol fut bientôt l'unique bruit habitant le bâtiment. Elle sourit avec contentement. Cette journée avait été positive.

Il n'y avait plus personne. Dans peu de temps, les lumières s'éteindraient et la nuit finirait par tomber.

Comment allait-elle bien pouvoir s'occuper ? Sans doute ferait elle quelques recherches, elle avait également envie de regarder un ou deux films.

Le temps peut être long quand on n'a plus aucune obligation.

La jeune fille fit volte face en contemplant le panneau d'affichage apposé à l'un des murs. Il était couvert de prospectus des différents clubs de l'école. A sa droite s'étalait une longue série de clichés. Il s'agissait des photos de classe de chaque promotion depuis l'ouverture du complexe scolaire. Elle remonta sa capuche en passant devant la galerie, étudiant ces instants immortalisés qu'elle connaissait par cœur.

Du bout des doigts, elle effleura celle dans laquelle on aurait du pouvoir trouver son visage, six ans plus tôt. Elle ne figurerait jamais sur aucune photo.

Effie disparut dans les couloirs sinueux de l'école.

C'était une bonne journée.

En orbiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant