Chapitre 1 : le Manoir

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La course avait atteint son point d'orgue. Le grand hongre allongeait chaque foulée au maximum. Ses sabots foulaient le sol à un rythme soutenu, comme un roulement ininterrompu de tambours battants. Les fourrés fouettaient d'avantage ses flancs que la cravache délicatement posée derrière la botte de la cavalière. Le vent sifflait à ses oreilles, ses muscles tendus dessinaient un corps fin et créaient une harmonie entre elle et sa monture. Le galop les emportait tous deux entre les arbres sombres.

Le crépuscule tombait lentement, et serait bientôt rattrapé par sa sœur la nuit.

La cavalière excita sa monture d'un léger cri et d'une pression des genoux. Le cheval s'emballa.

Ils y étaient presque. Plus que quelques secondes et tout serait joué.

Prise dans sa course, la jeune femme ne prit pas garde à la ligne sombre qui courrait au sol, ni à l'éclaircissement soudain de la forêt. Tendue vers son objectif, elle faillit être désarçonnée quand sa monture fit un écart.

Brusquement repassé à un trot inquiet, sa cavalière sur l'encolure, le hongre piétinait le sol couvert de feuilles avec nervosité. Pestant, elle se redressa tant bien que mal et jeta un regard autour d'elle. Au moment où elle reconnut l'endroit où elle se tenait, elle reprit les rênes en main et talonna son compagnon pour faire volte-face. Le cheval ne se fit pas prier et reprit un petit galop, les oreilles plaquées en arrière.

La cavalière poussa un léger juron quand elle se rendit compte qu'elle s'était aventurée plus loin qu'elle ne l'aurait dû, et encouragea encore sa monture. Sentant les premiers effets de la fatigue, le hongre mit toute sa force à allonger ses foulées, sans grand succès.

Ils chevauchaient depuis l'aube.

Charlotte se maudit dans son for intérieur. Elle aurait dû être plus vigilante.

La frontière apparut au loin, avec les arbres denses et noirs de Haut Royaume.

Le cheval l'avait vue aussi, et accéléra dans un sursaut d'énergie.

Trop tard.

Entendant le bruissement des arbres, Charlotte ferma un instant les yeux. Ils étaient là. Elle se prépara, cette fois-ci, et quand Thunder pila, elle resta bien en selle.

Devant eux, presque sous les naseaux du cheval, se tenait une jeune fille.

Sa peau était d'un vert translucide qui laissait apparaître comme un filet de lignes noires ses veines. Ses cheveux ruisselaient autour de ses épaules jusqu'à sa taille, entremêlés de feuilles et de plumes tressées. Elle portait une sorte de tunique brune nouée à l'épaule et à la taille.

Charlotte prit la parole en premier.

-Bonsoir, Nymphe.

La créature resta silencieuse un instant, laissant un malaise s'installer.

-Tu trouves la soirée bonne, Humaine ?

Charlotte se retint de lever les yeux au ciel.

-Tu apprécies peut-être une petite excursion hors de chez toi ? La profanation de notre territoire t'est sans doute agréable ?

-Je vous demande pardon. Je n'ai pas vu que je franchissais la frontière. D'ailleurs j'ai aussitôt fait demi-tour. Mon intention n'était pas de venir...

-Je sais parfaitement quelle était ton intention, Humaine. Et que tu aies pénétré notre domaine me permet simplement de te confronter à l'horreur de tes actes.

Un bruissement de feuilles, et une tête brune apparut entre les feuillages. Deux grands yeux dorés s'ouvraient autour du museau tacheté. Le cerf inclina gravement son encolure, ses bois imposants balayèrent les branchages au-dessus de lui, puis il fit volte-face et disparut entre les arbres.

L'errance d'EmerancieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant