Les murs de la Citadelle, aussi blancs qu'ils soient, isolaient extrêmement mal le bruit. L'oreille glacée par le froid, collée à la paroi, Charlotte entendait le moindre son qui se produisait dans la salle d'apparat. La voix du roi retentit, calme comme l'eau qui dort.
-Une reddition complète ? Mais Baron, c'est vous qui nous avez attaqués!
-Ne jouez pas sur les mots, Nymphe ! Abandonnez vos terres frontalières, ou nous anéantirons votre peuple.
-Vous avez déjà commencé, je crois.
-Et je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin. Mes hommes non plus.
-Dans ce cas, nous n'avons rien à nous dire. Evacuez vos hommes de ma Citadelle, ou je ne réponds plus des actions de mes sujets.
-Vos sujets... ! Même Haut Royaume a renoncé à cette pratique féodale !
Le roi ne répondit rien. Charlotte pesta intérieurement contre Oustant, dont le bruit de pas ébranla la précieuse architecture. Il sortit par la porte au-dessus de laquelle Charlotte se tenait, accroupie au sol. Elle risqua un regard par-dessus la balustrade et aperçut le Baron et ses hommes, hissés sur leurs imposantes montures, quitter la Citadelle.
La jeune femme soupira et se laissa aller contre le mur. Elle espérait que Sol avait trouvé un endroit sûr avant qu'Oustant et ses hommes n'arrivent. Les cors du Baron retentissaient encore, emportés par la bise glaciale. Charlotte frissonna. L'hiver s'installait, définitivement. Une silhouette se dressa devant elle, une Nymphe.
-Bonjour, Humaine.
Elle reconnut à l'instant même la voix railleuse et le regard ardent.
-Tu trouves que c'est un bon jour, Nymphe ?
La jeune créature la regarda sans sourire. Charlotte se releva et s'étira.
-Que me veux-tu ?
-Moi, rien. Mais nous avons un ami commun qui souhaite te voir.
Charlotte la suivit jusqu'au bout d'un long couloir, qui débouchait sur un sentier s'enfonçant dans la forêt. Fendant les buissons dans un chuintement feutré, le cerf s'avança vers les deux silhouettes. La maîtresse du Manoir le reconnu aussitôt ; elle l'avait déjà revu en arrivant à Bas Royaume, elle l'avait poursuivi des heures durant : c'était son gibier.
L'animal s'avança à pas mesurés. Ses bois oscillaient au rythme de la marche, balancier superbe qui couronnait son front brun. Il s'approcha jusqu'à ce que son souffle se pose sur le visage de la Nymphe. Il planta ses yeux dans le regard fier de Charlotte.
Courir. Courir. Fuir. Fuir. S'échapper. S'envoler. Se cacher. Ne pas se tordre une cheville, ce serait la fin. Ne pas chuter, ce serait la fin. Ne pas ralentir, ce serait la fin. Ils étaient là. Juste derrière. Les chiens aboyaient à tue-tête, rendus fous par l'odeur de la viande. Et par la course. Et la promesse de sang qui l'accompagnait. Au milieu des chiens, les chevaux s'emballaient. Déjà plusieurs d'entre eux avaient abandonné. Mais le grand cheval, lui, n'abandonnerait pas.
Elaphe sentait la détermination qui émanait de la bête. Le cheval ne s'arrêterait qu'une fois sa proie morte.
Au loin, l'échappatoire se dessinait. Elaphe ne voulait pas y aller, on lui avait toujours inspiré la crainte de ces bois si verdoyants. Mais il s'était aventuré trop près, et la Forêt Aux Mille Senteurs était le seul refuge qui lui restait. La meute s'éparpillait derrière lui. Des montures enragées, il ne restait plus que le grand cheval. Des heures avaient passé, Elaphe courant pour sa vie, le cheval le coursant pour le mettre à mort. La frontière apparut. Un dernier instant, Elaphe hésita à la franchir.
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L'errance d'Emerancie
FantasíaCouverture & titre provisoire. "La ligne noire sépare Haut Royaume et Bas Royaume depuis toujours. Au nord, les Hommes ont enfin trouvé une répartition des terres équilibrée. Au sud, nul ne sait ce que font les Nymphes et les Naïades. Quand la Baro...