Chapitre 2 : le Comte d'Estois

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Charlotte mit pied à terre. Elle avait renoncé à son habituelle tenue de chasse, rangé pour longtemps sa veste d'attelage rouge et or, et portait une veste de garde-chasse ample à la place. La nuit avait été courte et ses traits tirés le montraient bien. Baptiste avait rapidement approuvé sa réponse au Comte, reconnaissant que c'était sans doute la meilleure décision pour le Manoir et ses habitants. Le problème avait surgi quand ils étaient allés trouver leur père. Le maître du Manoir était entré dans une rage noire et s'était laissé emporter par sa colère, refusant que ses enfants portent son domaine à la guerre. Baptiste avait finalement réussi à l'apaiser, et Charlotte était partie à l'aube, entourée de deux baronnets et de Loran. A la limite du comté, des hommes montaient la garde, discrètement dissimulés dans les arbres, mais elle les avait aperçus.

Le comté était tout de bois clairsemés, de collines et de rivières. Pas une seule route, pas un seul chemin, mais des grandes allées naturelles recouvertes de galets et de feuilles mortes. L'automne faisait son œuvre et tout autour des cavaliers du Manoir les rouges et les bruns des arbres renvoyaient une chaleur inhabituelle.

En haut d'une colline, la demeure du Comte se voyait des kilomètres à la ronde. Quatre tours en faisaient les angles, reliées par de hautes murailles crénelées en pierre sombre. De longues meurtrières laissaient entrer la lumière dans de grandes pièces froides et humides. Le comté et le Manoir étant voisin, Charlotte connaissait le comté comme sa poche et avait déjà séjourné plusieurs fois chez le Comte. Elle talonna sa monture, l'engagea dans un étroit passage entre le flanc d'une colline et le lit argenté d'une rivière. Loran et les deux baronnets la suivirent en file indienne.

Dans la cour du château, on les reçut avec efficacité et on les mena jusqu'à la tour du comte.

La salle était pleine à craquer. Principalement des hommes d'Estois, mais aussi un groupe de femmes vêtues aux couleurs de la baronne Inela, tout de noirs et de rouges. Charlotte prit le temps d'observer les différents participants depuis le seuil de la pièce. Du cuir, des fourrures, des peaux, des muscles saillants, et apparaissant brièvement l'éclat des lames. Se tenant à contre-jour, la haute stature du comte se détachait. Il l'aperçut enfin et se déplaça à travers la foule.

-Bonjour, Charlotte.

-Comte.

-Je suis heureux que tu te sois jointe à nous. Qui sont tes compagnons ?

-Loran, mon homme de confiance. D'Hyard et Sol, mes baronnets.

Le comte cilla en remarquant que la jeune femme rattachait les baronnets à sa propre personne et ainsi évinçait son père mais ne dit rien. Il connaissait suffisamment le maître du Manoir pour préférer traiter avec sa fille.

-Approchez-vous. Notre assemblée est presque au complet, nous allons bientôt commencer.

Charlotte et son escorte s'avancèrent à travers la pièce, saluant à droite et à gauche les visages familiers. Après un instant d'hésitation, la jeune femme entraîna Loran à sa suite, laissant les baronnets remplir leur devoir social. Elle se dirigea vers les visiteuses venues de la baronnie d'Inela.

Les envoyées de la baronne portaient de longues jupes vermillon, fendues sur tout un côté pour leur permettre de monter, et des corsages en cuir noir, de hautes bottes assorties, et des cheveux relevés en coiffures extravagantes. Ainsi, l'une d'elle avait la tête surmontée d'un chignon imposant, tandis que deux longues tresses fines encadraient son visage ; une autre avait l'œil gauche recouvert d'une large mèche alors que le reste de ses cheveux était soigneusement natté et enroulé autour de son biceps droit. En même temps qu'elle s'attardait sur leurs coiffures et vêtements, Charlotte sentait les femmes l'examiner attentivement. L'émissaire se tenant au milieu parla en premier.

L'errance d'EmerancieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant