Chapitre 2: Archibald

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" De la même manière que Dieu sépara le ciel de la terre et le jour de la nuit, les hommes séparaient à présent le Monde d'En Bas du Monde d'En Haut. Toutes les choses mauvaises restèrent séparées de nous par la Brume. Ainsi les humains construisirent une ville sur l'ancien emplacement des Météores et l'appelèrent Rising, car elle était pour eux signe de renouveau, comme le soleil levant"

Extrait du Livre des Origines, Chapitre 4.

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A Rising, nous ne choisissons pas celui que nous épousons. Il en a toujours été ainsi. Les filles vont à l'école jusqu'à leurs quinze ans, ou on leur choisit un fiancé, puis quittent leur famille et entrent au gynécée ou elles apprennent la peinture, la musique, la danse et l'étiquette jusqu'à leurs dix-huit ans, ainsi que tout ce qui peut être utile à leur futur mari. Comme Kyrrth est Chef de la Police, j'ai dû apprendre le droit et les procédures pénales. Nous sommes éduquées pour devenir l'ombre de notre mari. Nous sommes leurs aide-mémoires. Leur secrétaire. Leur faire valoir. La mère de leurs enfants. Je sais que ma mère a elle aussi appris le droit, étant femme du Haut Juge. Mais jamais elle n'en parle, et mon père ne lui demande jamais son avis. Sur rien. Il la laisse organiser dîners officiels et réceptions. Ma mère règne sur la maisonnée. Mon père sur le tribunal. Ils semblent se satisfaire de cet arrangement. J'ignore s'il en sera de même pour moi. Mais je ne tarderai pas à le savoir. Car comme ma mère avant moi je vais quitter le Gynécée.

Un jour toutes les filles sortent. A leurs dix-huit ans. Elles partent pour se marier, avec l'homme choisi par leur père. Les filles qui refusent sont bannies et deviennent servantes au gynécée. Elles n'en sortent jamais plus et sont forcées d'accomplir les travaux les plus ingrats, nous avons interdiction de leur parler, et elles n'ont pas le droit de nous regarder dans les yeux. C'est pour cela qu'elles sont affectées ici. Quand les jeunes filles les voient, fatiguées, courbées sous le poids des bûches qu'elles doivent transporter plusieurs fois par jour en hiver, elles se plient de bonne grâce au mariage. Elles ne veulent pas finir comme elles, une ombre parmi les ombres du gynécée.

Un bruit a la porte m'oblige à sortir de mes pensées. Ce léger grattement, je le connais bien, et j'ouvre la porte presque aussitôt. Archibald entre d'un bond, et saute sur mon lit, puis juge bon de se prélasser dans mon duvet en plumes d'oie, en profitant pour se faire les griffes dessus. J'ai essayé de lui apprendre les bonnes manières, mais toujours sans succès. Je l'imagine un instant prenant Kyrrth pour son arbre a chat et l'attaquant à coups de griffes. Étrangement, cette méchante pensée m'aide à me sentir mieux. Je me ressaisis et essaye de penser à autre chose. C'est ma mère qui me l'a offert. Facon de parler. En fait c'est le cuisiner qui avait découvert ce petit chaton noir, qui s'était invité dans nos poubelles quand j'avais quatorze ans. J'avais supplié ma mère pour pouvoir le garder. Mon père n'était absolument pas d'accord. D'ailleurs je pense que la seule et unique fois ou je l'ai vue tenir tête à mon père. Elle avait décrété qu'Archibald pouvait rester, mais qu'il ne quitterait pas ma chambre, et que je l'emmènerais avec moi au Gynécée en partant. Mon père avait fini par céder. Après cela, elle était retombée dans son mutisme habituel, et Archibald s'était installé dans mes appartements. Archibald avait d'ailleurs également fait l'objet d'un accord entre Kyrrth et moi lors de la signature du contrat de fiançailles. Kyrrth a fait remarquer que selon le règlement de la Sentinelle, aucun animal n'y était accepté et Thomas avait appuyé son fils. J'avais trouvé un soutien inattendu chez Elaine, la mère de Kyrrth.

" -Pour l'amour de Dieu, ta fiancée n'est pas un de tes Gardes ! Elle va vivre au milieu d'hommes, a La Sentinelle, puisque tu refuses de vivre à Rising, et que tu préfères t'enterrer dans ta fichue caserne, Samara a bien le droit d'avoir son chat !"

Elaine et moi avions eu gain de cause. Kyrrth m'avait regardé et je m'étais forcée à bien soutenir son regard, même si ses grands yeux noirs me mettaient mal à l'aise. Puis il s'était replongé dans ses papiers, marmonnant qu'Archibald pouvait rester, à condition qu'il se tienne bien, et j'avais promis, même si je savais que mon indomptable boule de poils n'en ferait rien.

J'admirais beaucoup la mère de Kyrrth. Elaine n'était pas comme ma mère. Vive et intelligente, elle ne craignait pas de s'exprimer, et son fils comme son mari n'en prenaient pas ombrage. Elle parlait couramment plusieurs langues, chantait à merveille et on disait qu'elle avait lu tous les livres de la Grande Bibliothèque, ce qui n'était pas un mince exploit. Je savais, grâce aux rumeurs, que plusieurs femmes au cours des années avaient tenté de séduire Thomas. Il était séduisant, charismatique, et sa position en faisait une cible de choix. Beaucoup de femmes rêvaient de régner sur Rising. Mais Elaine ne craignait pas de rivale, et Thomas ne les regardait même pas. J'étais convaincue que jamais personne ne détrônerait Elaine

House of the rising Sun -tome 1- La SentinelleWhere stories live. Discover now