Chapitre 4:Lucioles

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"Et en se réveillant elle trouverait les lucioles mortes et agonisantes sur le lit d'herbe fanée, tant qu'elle se demanderait comment elles avaient pu être si belles dans le crépuscule. Car elle avait oublié que chaque chose perd un peu de sa beauté quand on l'emprisonne dans un bocal."

"Jolis contes de l'Ancien Monde", Auteur inconnu

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Je vois des lucioles. Elles dansent devant moi. Je lève la main pour les attraper et soudain je sens qu'une main saisit la mienne. Je cligne des yeux et le monde reprend sa place. Je comprends que ce que j'ai pris pour des lucioles, ce n'était que le reflet d'une lampe dans les verres de lunettes du Dr Liebmann penché sur moi. Il me sourit, et ses yeux se plissent derrière ses lunettes rondes. Il porte les mêmes depuis mon enfance, et un jour, quand j'avais cinq ans, je lui ai dit que ça lui donnait un air gentil.

- La Belle au bois dormant s'est réveillée ?

- Qu'est ce qui s'est passé ?

- Peu après que le Prince Charmant ait quitté la salle de bal ou tu fêtais tes fiançailles, tu t'es écroulée lors d'une valse. Sûrement un malaise dû à l'émotion d'une jeune fille amoureuse lors du plus beau soir de sa vie.

L'ironie du docteur ne m'a pas échappé, et je souris.

- C'est sûrement ça. Ou sont mes parents ?

- Toujours dans la salle de bal. Entre temps Charmant est revenu et attend de tes nouvelles devant la porte.

Ainsi Kyrrth était là. J'avais envie d'ouvrir la porte et de lui hurler que je n'étais pas d'accord pour être une offrande faite à sa famille pour sceller une nébuleuse alliance politique. Que je n'étais pas son jouet. Que je le méprisais. Mais je restais allongée là. Trop faible, trop apeurée. Puis j'entends la voix du Dr Liebmann

- Veux-tu que j'ouvre la porte et qu'il te réveille d'un baiser ?

Je réfléchis et déclare

- Non. Dites-lui que je vais bien, et de se retirer.

Le Dr Liebmann repousse une mèche derrière mon oreille. Par ma fenêtre ouverte on entend les bruits de ma fête de fiançailles qui continue. Sans Kyrrth. Sans moi. Le docteur me regarde, et je sens qu'il me plaint.

- Tu as raison. Murmure t'il. Assez de crapauds pour ce soir.

Il me sourit, et sort de la chambre. Je l'entends marmonner a Kyrrth quelque chose à propos de champagne et de surmenage, avant de sombrer dans un sommeil profond.

Lorsque je me réveille, il ne fait pas encore jour. Les bruits se sont tus. Je me lève et m'aperçois que je porte encore ma robe de bal. Mon chignon, si sophistiqué qu'il a pris une demi-heure à confectionner, n'est, lui, plus qu'un souvenir.

Je m'approche de la porte et je me dirige à tâtons dans le couloir seulement éclairé par quelques chandeliers.

Dans la pénombre, j'entends des voix. Elles proviennent d'une pièce au fond du couloir. Instinctivement je m'en approche. Je comprends qu'il s'agit de Thomas et Kyrrth.

Kyrrth ne semble pas ravi

- Elle s'est évanouie en dansant ! Elle ne tiendra pas deux jours à La Sentinelle si elle défaille pour une simple valse.

- Elle le devra bien pourtant. Dans six mois elle sera ta femme. Elle ira ou on lui dira d'aller.

- Père, je vous avais dit que Samara Litsey était trop faible, trop fragile.

- Le choix était restreint. J'aurais, comme toi, choisi Rosalie Cummings. Mais...

Thomas avait baissé la voix, et je n'entendais plus. Rosalie était la fille du procureur, qui voulait la place de haut juge depuis des années. Mon père avait raison. C'était un jeu de pouvoir, ou je n'étais que spectatrice. Et dans ce jeu, mon... fiancé et son père avaient choisi Rosalie. Je me rendis compte que je n'étais même pas vexée. J'avais envie d'entrer dans le bureau et de leur dire que j'abandonnais, que l'on trouverait un arrangement, qu'il fallait me remplacer par Rosalie.

Alors que j'allais poser la main sur la poignée, je me retins.

Pourquoi Rosalie ? Ça n'avait pas de sens. Son père était un simple procureur. Je fis demi-tour et me dirigeai à nouveau vers la chambre ou on m'avait portée pendant le bal, ou j'entrai et je refermai la porte le plus silencieusement possible.

Je me suis assise sur mon lit. Plus réveillée que je ne l'avais jamais été.

Mon père, au bal... la conversation surprise entre Thomas et Kyrrth... Rosalie Cummings....

Le puzzle se mit en place et je compris. Une alliance avec les Cummings n'était intéressante que si le père de Rosalie devenait Haut Juge. Comme le Leader, le Haut Juge était élu à vie. Il n'y avait que deux moyens de changer de Haut Juge. Si le Haut Juge en place démissionnait, ou s'il mourait. Mon père n'aurait jamais accepté de démissionner. Ce qui ne laissait qu'une option.

Je compris alors que me sauver de ce mariage, c'était le condamner. En me donnant en mariage a Kyrrth il nous avait sauvés d'une mort certaine. Il n'avait pas eu le choix. Et je ne l'avais pas non plus.

House of the rising Sun -tome 1- La SentinelleWhere stories live. Discover now